Big Bang

1.1 Le départ -1.2 Mon histoire sur Drhyz -1.3 Arrivée à la frontière -1.4 basculement .

2.1 Rencontre avec les Dieux - 2.2 Dialogue avec l'Essentiel - 2.3 Revue - 2.4 La mission - 2.5 Objectif Terre.

3.1 Rencontre presque fortuite - 3.2 Réincarnation.

4.1 Nice - 4.2 Mutation - 4.3 Du bleu - 4.4 Révélation

5.1 Retour à l'envoyeur - 5.2 Ni gloubas, ni ganamous - 5.3 Rencontre presque fortuite - 5.4 L'épreuve.

6.1 Adrhyzage par le fond - 6.2 Ruse de Drhyz - 6.3 Home sweet home - 6.4 Danger mortel - 6.5 Echange - 6.6 Dernier jugement.

7.1 Canicule - 7.2 Panique - 7.3 Riposte - 7.4 Big-bang - 7.5 Désastre.

8.1 Guerre - 8.2 L'arme - 8.3 Choc - 8.4 Décapité - 8.5 Mise au point - 8.6 Remise en état.

9.1 Questions - 9.2 Vote - 9.3 L'arche - 9.4 Virtuel - 9.5 Visions - 9.6 Apparition - 9.7 Détente.

10.1 Retour sur Terre - 10.2 Stop - 10.3 "Gourmette" - 10.4 Rebirth - 10.5 Retour à l'envoyeur.

 

1.1 Le Départ

Le verdict était prononcé : "Expulsé de la dimension 24 pour séjour irréversible dans un feuillet d'univers non encore exprimé".

En clair, le grand Magellan et son conseil m'envoyaient dans le néant, le vide total, le grand Rien.

La sentence ajoutait :

"Kuhing doit prouver qu'il est capable de recréer l'œuvre de Dieu comme il le sous-entend. S'il y parvient, il pourra revenir nous le dire par ses propres moyens dans notre feuillet d'univers d'angulation 24"

Je fus éconduit du palais du conseil par deux frères on formation de sagesse. Dehors, la clarté état toujours la même, La vie allait calmement et nous nous installâmes dans une bouée de transport pour rejoindre la vallée bleue. Le voyage fut bref, à peine deux unités pour survoler notre grande ville de Ghya et atteindre la base spatiale supra-galactique.

La bouée se posa près du site de départ. Les deux frères échangèrent un court regard qui exprimait leur peine de me voir partir puis me confièrent à l'équipe des ingénieurs naviguants supra-G. Je fus installé sans un bruit, seul, dans le caisson lenticulaire à propulsion Magneto-Hydro-Dynamique. Je regardais une fois encore à travers le hublot la vallée bleue qui s'étendait à perte de vue sans même plus porter attention aux Drhyz qui s'affairaient alentour. Après tout, je ne leur en voulais pas. Ils ne faisaient qu'appliquer la décision du conseil supérieur. Je dis adieu à la belle planète sur laquelle j'avais vécu, aux étoiles rouge-pâle qui nous chauffaient doucement, à la dimension 24 qui n'avait vu grandir.

Je n'eus pas plus de temps pour y penser. Le vaisseau télécommandé décolla sana secousses et deux unités plus tard, Drhiz 08 n'était déjà plus qu'une petite balle grise qui s'éloignait jusqu'à disparaître. Je passais bientôt sur l'axe de Wolf, l'étoile la plus proche, puis je vis Loan pointer à travers un hublot latéral de ce que les terriens appellent une "soucoupe volante". Ce n'était certes pas mon premier voyage supra-galactique mais, cette fois-ci, le retour n'était pas assuré. Je concentrais mon attention sur cette traînée d'étoiles brillantes vers laquelle mon aérodyne filait silencieusement. Ensuite était I 'inconnu.

En moins de sept unités je parcourus 29 années-lumière. J'avais pour cela déjà changé 2 fois de feuillets d'univers. Les ingénieurs auraient pu programmer le vaisseau pour m'exclure de la dimension 24 au premier basculement, mais le conseil préférait que je sorte d'abord de la galaxie Ixa, pour être bien sur. J'étais parti pour un voyage de 42 unités avant le renversement définitif ; cela me laissait le temps de penser à mon histoire. Je repassais dans ma tête la théorie et les calculs qui m'amenaient à la possibilité de recréer ce que Dieu seul avait pu réaliser : un big-bang avec la naissance d'un nouvel univers.

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a

1.2 Mon histoire sur Drhyz.

J'étais né voilà 33 N.U. sur la planète 08 du réseau Dhryz. Cela signifiait que j'avais consommé le quart de ma vie J'avais choisi un travail "abstrait". Mon père faisait partie de l'équipe de recherche du comité scientifique du grand Magellan, et c'est sans doute ce qui m'avait donné le goût du fondamental. Contrairement aux terriens, je n'eus qu'un seul parent. Il mourut 0,6 M.U. avant le début de cette aventure.

Les Drhyz n'utilisaient plus la sexualité pour se reproduire. Après une étape transitoire de type parthénogenèse, un pseudo-hermaphrodisme avait été transmis par manipulation génétique. Une dégénérescence des gamètes femelles avait menacé notre espèce d'extinction au début des temps téta2, et il avait fallu programmer la procréation. Pour garder une différenciation individuelle, une variation des codes s'opérait selon une technique de combinaison aléatoire de l'ADN des deux cellules mères - Les principes généraux de la vie organique demeurent en effet constants dans tous les angles cosmiques. Notre génie génétique avait sélectionné un clonage quasi-parfait, et chaque Drhyz se situait an même niveau que le Grand Magellan. Notre Grand Magellan restait cependant choisi par tradition dans la même lignée de descendance. Il servait de décideur suprême pour la population lorsque l'ordinateur central ne pouvait plus donner un avis.

Notre société Drhyz était de type égalitaire mais sans les désavantages des expériences connues par les Terriens ou les Vossiens dans leurs civilisations respectives. L'évolution vers un tel type de structure nécessitait une très longue maturation lorsque les événements se déroulaient naturellement. Nous appelions notre système social "société en bouquets ", parce que son fonctionnement schématiquement représenté, rappelait un assortiment de fleurs coupées connues de certains d'entre vous, et que nous aimions aussi dans notre réseau Drhyz. Son principe était élémentaire nais nous savions ici à quel point la simplicité est difficile à atteindre.

Je l'ai dit, les Drhyz jouissaient d'un niveau de compétence et de responsabilité sensiblement égal, chacun pouvait tout faire. Les centres d'intérêts et les affinités personnelles n'étaient cependant pas identiques tout au moins au même moment. L'ordinateur organisait les volontés individuelles en tenant compte de la bonne marche de la collectivité. Ce principe de fonctionnement atteignait une certaine perfection puisque, depuis son adoption par le conseil du grand Magellan Mu, la population, stabilisée à 30 milliards de Drhyz et répartie sur une centaine de planètes de notre système astral, ne connaissait plus de conflits sociaux. D'un point de vue économique, ce que des terriens appellent " plus- value " dans leurs sociétés primitives n'existait pas. L'ensemble de la richesse produite se répartissait selon un principe d'ailleurs retrouvé par le terrien Engels : " A chacun ses besoins, à chacun ses moyens ". Les moyens étant sensiblement homogènes, les besoins stabilisés étaient satisfaits à 100,02 % pour éviter toute pollution inutile. La capacité de production réelle correspondait à environ trente mille fois celle du nécessaire, forces productives à rendement maximal. Un Drhyz travaillait ainsi un vingtième de son temps disponible pour la collectivité, que ce soit à la production agricole, industrielle, culturelle ou scientifique - de quoi faire méditer les terriens Marx ou Taylor, ou encore le Vossien XIGA.

Notre espèce Drhyz avait donc résolu bien des problèmes au cours de son évolution. Il en restait cependant un qui perturbait sa sérénité : Dieu et sa problématique. Cette question qui avait amené à la destruction de toute la civilisation "Atlanta" dans une proche galaxie avait chez nous, provoqué le suicide de plus d'un milliard de Drhyz durant les temps téta3. Depuis, le conseil du Grand Magellan optait pour une sage fermeté. La position officielle, installée dans la mémoire de l'ordinateur central, se résumait ainsi :

" Dieu a créé tous les feuillets d'univers connus ou à découvrir. Il demeure cependant possible pour tout Drhyz d'avancer une théorie contradictoire à condition que l'impétrant s'engage à la démontrer par des faits palpables dans la réalité de la dimension d'univers de notre angulation 24."

J'aurais pu continuer à me taire. Je choisis pourtant de proposer ma théorie du feuillet synthétique à la collectivité, et l'ordinateur central inscrivit ces mots terribles.

" Problématique de Dieu, Impossible d'analyser les éléments présentés."

Alors commencèrent les interminables convocations, séances et délibérations du conseil du Grand Magellan, qui aboutirent à mon expulsion de notre galaxie et de la dimension 24.

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1.3 Arrivée à la frontière

Arrimé sur le siège de la cabine de navigation de mon vaisseau spatial, je regardais défiler l'espace en vision directe, les récentes découvertes concernant le traitement en structures cristallines des métaux lourds permettaient une parfaite transparence de la partie supérieure du caisson. La loge qui m'enfermait contenait une substance minérale opalescente dans laquelle je baignais. Lorsque l'accélération devenait trop forte pour ma résistance cellulaire, cette gélatine se solidifiait et immobi1isait ma combinaison spatiale. Grâce à cette technique, les premiers vols pro-luminiques habités devinrent possibles et nous pûmes explorer les galaxies pour découvrir les nombreuses espèces vivantes qui peuplent les univers.

Des soleils carmin et des astéroïdes gris se succédaient à grande vitesse à travers le dôme de mon vaisseau. L'ordinateur de bord calculait en permanence la trajectoire en fonction des obstacles se présentant sur notre chemin, et je surveillais les signaux de route représentés en hologrammes dans la sphère de contrôle. Un réacteur à fusion nucléaire propulsait la machine à une vitesse de 30 Dr/unité, mais le gros de la distance se parcourait par renversement dans un autre feuillet d'angulation d'univers. Temps ws6, l'ordinateur annonça ce prochain basculement. La représentation immédiate de la position de l'aérodyne s'inscrivit dans la sphère de contrôle. Je visualisais l'étoile FP 6Zl par un hublot à ma droite ainsi que son système planétaire que je traversais ; un clignotement bleu au bord de la sphère signala l'entrée du tunnel de basculement que les terriens appellent trou noir. Celui-ci était particulièrement étroit puisque de la taille de trois de nos soucoupes. La nef prit alors une accélération supérieure pour amortir le choc de pénétration. Je fus encore immobilisé dans le gel solidifié de la coque de pilotage pendant que les planètes défilaient au-dessus de moi à une allure folle, laissant une pluie de brefs éclairs argentés. Le petit signal sonore m 'avertit que j'approchais du tunnel à vitesse maximale, le basculement était imminent. Le mouvement de la tramée d'éclairs ralentit, se stabilisa puis s'inversa, et je pus observer le flot des particules s'engouffrer avec moi dans le trou noir. Puis comme cela se produisait chaque fois, j'eus cette sensation de décorporation suivie du malaise indicible qui vint s'immiscer au plus profond de mon être. Mes ondes cérébrales furent alors stockées en attente pour éviter tout risque d'absorption. Ce sont là 1es derniers souvenirs que l'on pouvait avoir lors d'un bascu1ement ; la mémoire se gelait, et les structures organiques se cristallisaient par cryogénie ondulatoire jusqu'à l'arrivée dans I 'autre, dimension. Toute la puissance énergétique de la soucoupe se mobilisait alors pour créer un champ magnétique d'isolement contre les forces considérables du trou noir.

Je repris conscience dans le feuillet d'univers 26, comme l'indiquait l'ordinateur de contrôle. Cette angulation était très semblable à la mienne parce qu'elle provenait d'une ère de formation homothétique. Galaxies discoïdes, étoiles en binômes, Je me serais cru chez moi si les distances linéaires n'avaient pas été si contractées. Ma soucoupe volante cibla le tunnel de basculement 95463/126 qui me permettrait d'émerger en F24, a mi-chemin de la frontière d'Ixa. Le trajet ne dura pas plus d'une unité. Le trou noir, voie de passage entre les différents univers, m'avait permis de réaliser un bond que les terriens estiment à 370 années-lumière. Je devais maintenant parcourir un long trajet à vitesse sous-luminique, cette région d'Ixa ne présentant pas de tunnel. L'ordinateur de bord le rappela en indiquant " prochain basculement : 15 U ".

J'étais à nouveau libre de mes mouvements, et j'en profitais pour détendre mes membres engourdis. J'ai en effet des membres, des doigts et une tète comme les Vossions et les Abliens ou même les Terriens. La forme humanoïde représente la structure vivante la plus avancée que le pluri-cosmos peut engendrer dans ses différents hologrammes vitrifiés. Je suis morphologiquement conçu dans ce moule, mon coefficient masse cérébrale/poids total est, à titre indicatif 1,07 fois supérieur à celui des terriens et, même si mon système pileux est atrophié - mes lointains ancêtres en étaient pourvus - je passerais presque inaperçu dans les rues de Paris.

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1.4 Dernier basculement

Cela faisait 38 U. que j'avais quitté Drhyz 08, mais Il me semblait avoir vécu une éternité de solitude. L'aérodyne poursuivait, lui, sa route sans état d'âme et le voyage allait arriver à son terme. L'ordinateur signala mn position dans la sphère de contrôle et le bip annonçait déjà ce tunnel d'où je ne devrais peut-être pas revenir. Un doute m'envahit soudain : je revoyais bien toute ma théorie du "feuillet synthétique" mais les équations se mélangeaient dans ma tête. Pourquoi avais-je osé affronter le Grand Créateur ? Pour cela, il me réduirait peut-être à néant dans moins de quatre unités. L'entrée du tunnel approchait, et l'accélération du vaisseau m'immobilisa dans le gel. Tout se passa exactement comme pour 1es basculements précédents à la seule différence que l'ordinateur inscrivit :

" Système de stockage cérébral déconnecté I Angulation d'émergence Inconnue."

J'allais bientôt assister en direct à ce qu'aucun être matériellement vivant n'avait rapporté. Le sens de la pluie d'éclairs, attirée par le grand aspirateur, s'immobilisa à nouveau et prit la même direction que mon vaisseau. Je vis pour la première fois le champ magnétique entourer la soucoupe avec une telle puissance que les franges ondulatoires formées de particules de matière expulsée, donnaient au dôme transparent une étrange chevelure lumineuse. L'instant suivant, je franchissais le seuil du tunnel.

Je ne ressentis pas le malaise de décorporation, et je vivais encore. Le gel de la coque de pilotage se liquéfia puis fut instantanément aspiré dans ses conduits. J'en déduisais l'arrêt du vaisseau. J'avais maintenant l'impression de reposer sur une matière stable mais le champ magnétique isolant m'empêchait de distinguer quoi que ce soit par le dôme ou les hublots latéraux. L'ordinateur du bord indiqua :

" Immobilisation : Zone indéterminé./ Température hors-champ : indéterminée. / Temps chronologique : : Indéterminé. / Pressurisation caisson : Normale / Gaz intérieur caisson : Normal. "

Je déconnectais le harnais de sécurité magnétique qui collait ma combinaison spatiale au siège, l'apesanteur artificielle permit de me lever. Enfin, je pus me débarrasser du casque transparent moulant les formes de mon visage et faire quelques pas dans la salle de navigation. Tout était étrangement calme, malgré, cette lumière intense que le champ magnétique projetait à l'extérieur. La première étape était franchie puisque j'étais resté vivant et conscient à l'intérieur même de ce mystérieux trou noir. Je devais cependant aller vite : La coque magnétique qui me protégeait ne serait plus alimentée dans 2 U. ; après je serais désintégré. Sans plus attendre, je saisis le petit conteneur où devaient se trouver les instruments que le conseil supérieur du Grand Magellan m'avait accordés pour l'expérimentation de ma théorie sur les feuillets synthétiques : un petit canon à nano-ondes pulsées, un réflecteur â fusion mésonique, et un simple prisme en nitronium stabilisé. Je l'ouvris.

Je dus me rendre à l'évidence de ce qui se présentait devant mes yeux ébahis : la boite était parfaitement vide, aucun de ces outils ne se trouvait là. J'étais stupéfait : le conseil du Grand Magellan avait failli à son engagement ; jamais un document n'avait rapporté un tel fait dans l'histoire de la civilisation Drhyz.

Ils avaient choisi de se débarrasser de moi, au prix de la violation du principe sacré de la parole donnée.

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2.1 Rencontre avec les Dieux

Il ne me restait qu'une unité de temps pour trouver la solution qui sauverait ma petite vie organique ; sans sa gaine magnétique, mon vaisseau serait réduit à néant instantanément. J'essayais de maîtriser ma peur, je m'assis devant la sphère de contrôle où ne s'inscrivait plus que le compte à rebours de l'extinction du champ qui me protégeait. Je mis les deux mains sur mon visage et je fermais les yeux en pensant encore à mon encombrante hypothèse. Ma théorie consistait à focaliser un faisceau d'énergie d'un trou noir, au moyen d'un réflecteur à fusion mésonique. Il me suffirait de le placer dans un petit caisson télécommandé et d'y associer un flot de nano-ondes pulsées. Alors, l'angulation du Big-bang créé par la fabuleuse énergie concentrée, devait être orientée, juste avant l'explosion, à travers un prisme de nitronium. Tout cela était finalement assez simple.

Les équations se succédaient à grande vitesse dans ma tête. J'y avais travaillé avec un tel acharnement que tout était mémorisé. Les gros calculs concernant la décompression spatio-temporelle avaient occupé presque 5 M.U. de ma vie. Ils défilaient pourtant avec une régularité qui finit par m'étonner.

Soudain, je vis mon père assis dans son laboratoire de recherche puis son image se mêla à celle du palais du conseil du Grand Magellan. L'instant suivant, la sphère de contrôle indiqua : " Extinction du champ -0,2 U."- Je n'avais cependant pas retiré les mains qui cachaient mes yeux.

Des visions se succédaient maintenant avec une vitesse croissante, et je percevais la planète Drhyz O8 à la fois dans sa globalité et dans le détail de tous ses reliefs, de ses mers, de ses villes, et même de chacune de ses habitations.

L'image s'élargit l'instant suivant à l'ensemble du système astral Drhyz avec nos deux soleils WOLF et LOAN que j'avais croisés quelques unités auparavant. Je percevais dans une intégralité spatiale et temporelle ces structures cosmiques qui s'élargissaient de plus en plus. Pourtant, je gardais la conscience de moi-même et je compris alors ce qui m'arrivait.

J'ouvris les yeux, Le vaisseau spatial avait disparu et je me trouvais en suspension dans un vide absolu. Seule la faible lueur que mon corps irradiait, me permit d'apprécier le noir complet qui m'entourait. Le silence était si profond qu'il me semblait pouvoir le toucher. Aucune angoisse ne me troublait cependant, j'étais plutôt envahi par un sentiment que je vivais pour la première fois : une complète certitude. Je regardais ma main et j'eus la confirmation de ce que j'avais compris : elle était devenue un reflet virtuel, un hologramme simplifié. Je l'approchais de mes yeux, et je pus distinguer à travers la peau, les structures osseuses, et mon sang circuler dans les veinules. Je pris ma main dans l'autre, mon corps avait perdu toute consistance matérielle. Ces observations validaient ma théorie du feuillet synthétique qui ne nécessitait plus d'outil pour l'expérimenter : sa simple formulation mentale avait permis d'accorder mes ondes cérébrales en phase avec la vibration essentielle du Grand Architecte. Je me trouvais dans l'antichambre de la demeure du Créateur qui projetait l'image vivante que je voyais de moi. Je levais les yeux et je me mis à regarder droit devant ; je savais que la porte ne tarderait pas à s'ouvrir. L'image d'un Vossien prit alors forme à ma droite, je reconnus Alia représenté sur les temples de la planète Vos, dans la dimension 56. Puis ce fut le Terrien Jésus dont le corps sortit du néant avec ses yeux qui me souriaient. Enfin CATEWOS de la planète Crya et l'Ablien Héxié se formèrent à mon coté gauche. Les quatre fils-achevés de Dieu, engendrés par le pluri-cosmos, m'entouraient d'une présence diaphane puis, je sentis mes ondes cérébrales se mélanger aux leurs. Alors, tout s'éclaira d'une lumière douce mais intense. Comme si je dominais la scène, je perçus nos cinq corps former un cercle. En son centre, le point d'où irradiait la lumière capta nos attentions. J'étais en présence de la source d'émergence de tous les feuillets d'univers, certaines civilisations l'appellent " Dieu ".

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2.2 Dialogue avec l'essentiel.

"Bienvenue, Fils direct. Te voilà parvenu jusqu'à nous après de bien nombreuses d'épreuves surmontées. Kuhing, tu es la cinquième représentation achevée de ce que je suis, et il a fallu 77.000 Y.M.U. pour que nous puissions dialoguer directement. Ton cadet Jésus pourrait dire que 276 milliards d'années ont suffi pour t'engendrer et, si tu es le dernier arrivé ici, tu es le plus âgé de tes quatre frères. ".

Dieu s'adressait à moi comme mon père aurait pu le faire. Il me semblait d'ailleurs reconnaître son intonation et son schème de pensée. Je savais que le feuillet 24 était l'un des plus anciennement créés, notre Big-bang ayant été évalué à 75.000 Y.M.U., mais son propre initiateur m'en annonçait maintenant l'âge exact. Je représentais le fruit d'une de ses plus anciennes semences et, avec les frères qui m'entouraient, le reflet le plus précis de ce qu'il était. Je compris que la tâche n'avait pas été si simple, même pour celui qui était à l'origine de tout ce qui existe. Il lui avait fallu prévoir les plus infimes détails du déroulement des événements pour qu'à partir de cet éclair d'intelligence pure, une vie organique engendre un jour une nouvelle spiritualité capable de s'adresser à lui, ce dialogue étant nécessaire. Je compris la cause de cette disparition supposée de deux feuillets d'univers antérieurs à la formation de ma dimension 24 : le rayonnement fossile d'un Big-bang avait bien été enregistré lors d'envois de sondes dans les angulations 12 et 18 mais F12 et F18 ne contenaient que du vide. Dieu avait, cette fois, mal fait ses calculs et ces univers instables s'étaient à nouveau contractés. Mon feuillet 24 avait été le premier capable d'engendrer la vie et l'intelligence mais le temps de maturation durait trop longtemps. Il fallut alors modifier les données jusqu'à la création de l'angulation 57 et l'apparition de la vie intelligente 14 milliards d'années seulement après son Big-bang. Les scientifiques de la Terre savaient bien qu'un seul milliard de leurs années après la formation de leur planète avait permis l'émergence de la vie organique dans ce plus jeune des univers. Toutes ces informations me venaient spontanément à l'esprit. Dieu osait nous avouer ses faiblesses, ses imperfections, et ses erreurs. Comme nous, simples mortels, il avait dû de nombreuses fois revenir sur le métier et, parmi les cinquante sept feuillets d'univers qu'il avait créés, 33 seulement avaient engendré une vie organique ; cinq, une vie intelligente. Les quatre enfants-Dieux sourirent lorsque cette information circula dans nos esprits connectés. Je venais de rejoindre le Grand Créateur après 33 N.U. d'existence sur la planète Drhyz 08, ALLA avait à son arrivée ici 33 Vig, Jésus 33 années. Nous avions tous quitté les mondes matériels à un âge correspondant au nombre d'univers féconds. Dieu ne manquait pas d'humour et nous étions cinq parce que ce chiffre correspondait au nombre de civilisations ayant conduit à la spiritualité, recherchée entre les trente millions de milliards d'espèces vivantes créées. Je faisais partie de ce substrat essentiel mais, plus encore, j'étais le dernier élément du puzzle qui pourrait enfin donner à Dieu son véritable jumeau, celui qui à son tour provoquerait le Big-bang de l'Unification Les regards de mes quatre frères convergeaient sur moi, j'étais le seul à être parvenu par mes propres moyens dans le royaume divin. Catewos, Alia, Jésus et Héxié avaient été amenés ici par le doigt du Créateur jugeant que leur spiritualité était accomplie ; mais celle-ci n'était que le résultat d'une combinaison favorable, par hasard, de leur génome. Seul, moi Kuhing qui avait retrouvé le principe de la synthèse d'un nouvel univers, représentait l'aboutissement naturellement mûri de l'œuvre divine. J'étais la clef du Projet Final.

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2.3 Revue

Le moment était venu de faire un tour d'horizon de la situation, et Alia rendit compte le premier de ce qu'avait produit le feuillet 56 d'où il venait La représentation holographique d'Alia s'approchait de la mienne. Debout sur ses deux jambes filiformes mais d'une taille inférieure à celle des autres, Alia arborait un visage aussi blême que glabre. Ses yeux légèrement exorbités, aux grands iris mauves, étaient caractéristiques de sa race issue de la planète Vos. Alia fusionna dans nos esprits la représentation de son univers formé d'amas galactiques relativement homogènes. Un zoom instantané nous amena dans la nébuleuse <G12 près d'un petit groupe d'astéroïdes en orbite autour d'un quasar en extinction. Là s'était développée l'espèce Vos, seul endroit du feuillet d'univers 56 ou la vie avait dépassé le stade de l'être unicellulaire. Le zoom nous approcha encore et nous étions maintenant dans des structures tubulaires construites en titane dépoli et en verre réflecteur. Les plans des zones occupées se succédaient à pleine vitesse, et cette même architecture se répétait partout. Je reconnaissais cette planète Vos que j'avais eu l'occasion d'observer et d'étudier lors de mes périodes d'apprentissage. Les Vossiens vivaient là dans une organisation collectiviste totale orientée vers le développement systématisé d'une technologie froide. Un peu à l'image de ces insectes Terriens que sont les fourmis, les Vossiens construisaient avec une parfaite rigueur un modèle de société carcérale. Nous passions d'une unité de production à des dortoirs interminables, tout était identique mais complètement serein. Avec une régularité sans faille, les Vossiens se rendaient par groupes de 7000 dans les temples du culte où dominait l'effigie de celui que j'avais devant moi : Alia

La prière était sans doute le seul élément qui unissait la civilisation Vos à celles représentées par mes autres frères - fils de Dieu ; tous les autres comportements s'apparentaient à des automatismes. Alia stoppa là notre voyage dans son monde d'origine pour nous transmettre son appréciation :

-" La civilisation Vos n'a certes pas suivi une évolution qui l 'amènerait à rejoindre naturellement le Projet Final cependant, je ne blâme pas mes frères d'origine car, si la maturation spirituelle Vossienne n'a pas la capacité de franchir ce stade embryonnaire de la dévotion, un Vos n'a jamais tué son semblable. Je suis moi-même un accident du phénotype de ma race, mais je revendique en être le représentant, et je reste fier de mon espèce."

Alia baissa les yeux et effaça progressivement sa pensée des nôtres. Mes trois frères semblaient satisfaits de sa déclaration. Pour ma part, tout cela me paraissait encore hors de portée de jugement.

Catewos dut ensuite défendre la cause de son espèce que je ne connaissais pas encore. Il venait de la planète Crya dans le feuillet d'univers 42. Les Drhyz n'avaient jamais voyagé dans cette angulation cosmique à cause de sa dilatation extrême ; l'effet Doppler mesuré par nos sondes y donnait une distance moyenne entre chaque tunnel d'au moins 8000 M.U., le rendant encore difficile d'accès pour notre technologie. L'image de Catewos offrait un aspect plus massif que celui d'Alia. Ses deux jambes étaient plus courtes, mais son torse puissant et droit rattrapait leur taille. Sa grosse tête chauve s'éclairait étonnamment par de beaux yeux aux pupilles argentées. Catewos sourît et enveloppa nos esprits de sa pensée. Nous vîmes la grande galaxie Trza et ses étoiles lourdes ; l'angle 42 était à l'image de Catewos : large. Nous nous arrêtâmes sur une planète gigantesque d'une masse bien supérieure à celle de notre étoile WOLF. Une atmosphère de gaz violet filtrait les radiations infrarouges du pulsar qui la réchauffait. Le relief de Crya était particulièrement mouvementé et ses agglomérations urbaines construites en marches d'escaliers sur les flancs des puissants massifs montagneux. Une végétation luxuriante, rappelant celle des forêts équatoriales terrestres, recouvrait la quasi-totalité du sol, et, de l'unique océan qui baignait les deux tiers de la planète, émergeaient d'extraordinaires arbres dont les lianes s'enchevêtraient. Ce paysage me marqua d'une impression nouvelle, moi qui étais habitué aux vallées en pente douce à dimension Drhyzienne. Catewos nous entraîna avec un zoom plongeant dans une des plus grandes villes, accrochée sur la montagne Sacrée. Les habitations pentagonales Cryennes étaient disposées en quinconce sur chaque palier artificiel et quelques bouées de transport animaient un ciel pastel exempt de nuages. La vie semblait s'écouler tranquillement mais Catewos nous conduisit dans le bâtiment central d'un groupe de maisons. Une femme Cryenne agenouillée assistait dans le plus profond désarroi au sacrifice de son dernier-né. L'enfant fut pulvérisé par le rayon sorti des armes des soldats restricteurs puis ils s'en allèrent simplement. Catewos donna la raison de ce drame en nous transportant temporellement au moment de sa vie sur Crya. Nous le vîmes au sommet de la montagne Sacrée; Une foule invraisemblable venait assister à son élévation dans le royaume des cieux. Catewos annonça que la grâce divine réaliserait la grande Unification lorsque le Créateur aurait ses cinq enfants puis Il se volatilisa dans une gerbe de feu étincelante. Ensuite apparut le visage de ce Cryen qui se proclamait " Prophète des cinq enfants divins ". Les maisons furent alors construites par groupes de cinq selon la nouvelle loi du prophète. Désormais, chaque famille Cryen devait engendrer cinq enfants ; si elle n'y parvenait pas, tous étaient exécutés. Si un sixième nouveau-né arrivait, il était sacrifié.

Catewos dégagea nos esprits du sien, et parla à son tour à nos intelligences :

-" Mes anciens frères Cryens vivaient sans violence avant mon ascension sur la montagne Sacrée. Certes, l'évolution de l'espèce ne pouvait la diriger vers le Projet ; comme Alia je ne suis qu'un accident génétique. Les Cryens s 'entre-tuent aujourd'hui au nom de notre Initiateur, et j'en suis grandement responsable : ils n'étaient pas faits pour connaître l'issue dont Dieu m'avait informé. Je suis coupable du calvaire de cette femme Cryenne, et des souffrances que les autres subissent par ma faute."

Les grands yeux de Catewos brillaient du reflet de ses larmes, et des gouttes de son sang coulaient maintenant sur son visage Mes frères Héxié, Jésus, Alia et moi le regardions sans savoir que dire quand notre attention fut alors à nouveau captée par l'épicentre du cercle que nous formions et, Dieu parla :

" Non, Catewos, le responsable ne peut être que celui qui fut à l ' Initiative, et c'est bien moi. Le bien ou le mal perd son sens quand la direction est juste. Celui qui se prétend prophète sur Crya montre le mauvais chemin à ton espèce mais il est le produit de mes propres erreurs. Héxié vous en montrera d'autres qui affligent sa civilisation, quant à Jésus.

Dieu se tut, préférant appliquer le principe " une image vaut mille mots ", il projeta des photos apocalyptiques de la planète Terre, salissant la douce lumière dans laquelle nous baignions. Nous nous retrouvâmes aux abords d'une ville en ruines, près d'un abri de béton éventré ; des corps d'hommes et d'enfants mutilés débordaient d'un charnier devant leurs semblables en pleurs. Trois militaires à l'épaisse chevelure noire brandissaient sous un soleil de plomb des armes à balles métalliques en vociférant :

" Allah anéantira le Satan américain, Allah Akbar."

Les scènes qui suivaient à toute allure n'étaient pas plus belles. Des hommes au teint ocre et aux yeux bridés jetaient les cadavres de leurs semblables dans des fosses creusées dans le sol. Puis nous vîmes une foule immense d'hommes, de femmes et d'enfants très amaigris que des soldats bizarrement casqués menaient dans des bâtiments d'incinération sur lesquels était inscrit : " Gott mit uns ". Ensuite des Images d ' hommes à la peau pigmentée, pourchassés par des blancs hargneux, me bouleversèrent. Des équipes de Drhyz avaient rapporté de nombreuses informations sur les humains après plusieurs expéditions sur Terre temps Teta4/2 mais Je n'avais pu imaginer une telle sauvagerie chez cette espèce. Jésus baissait les yeux, il portait lui-même, sur ses paumes et sur son front les stigmates de la cruauté de ses frères. Nous étions tous consternés. Alors, la source divine m'informa de la tâche que je devais accomplir.

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2.4 La mission

" Kuhing, tu le sais maintenant, tu es le plus ancien de mes enfants achevés. Tes semblables Drhyz ont évolué sur la bonne voie même si l'approche du dénouement leur fait toujours peur. Tu as été la pointe avancée de ta civilisation, et tu es parvenu par tes propres moyens jusqu'à moi. Tu as retrouvé la théorie de la création d'un nouvel univers par les voies du raisonnement mathématique, mais tes objectifs ont été dépassés. Te voilà au carrefour où toutes les sciences convergent pour engendrer une nouvelle intelligence pure, l'image exacte de ce que Je suis. Mais le Big-bang de l'Unification demande une énergie supérieure à celle que tu peux trouver dans ce " tunnel de basculement ". Il te faudra rassembler la somme de toutes les spiritualités épurées des fréquences parasites qui causent les désastres auxquels nous assistons sur la planète Crya. C'est pourtant sur Terre que tu te réincarneras parce que là, j'ai commis ma plus grosse erreur. J'ai voulu brûler les étapes en programmant le carnivorisme pour accélérer le processus négentropique : l'homme a grandi en se nourrissant de ses proches cousins mammifères, et tu viens d'en constater toi-même les effets. Les Drhyz, eux, ont évolué en mangeant des particules organiques élémentaires ; leur maturation a certes été infiniment plus longue que sur Terre mais je sais maintenant que la patience doit être la plus haute qualité divine. Tu te matérialiseras donc sur Terre et laveras cette faute fondamentale. Quelques hommes ont déjà essayé de le faire, je les ai vus et grâce à la bonté de leur âme, tout n'est pas perdu."

La source de lumière qui nous unissait tous les cinq faiblit. Mes quatre frères se recueillaient remplis d'un nouvel espoir. Tous savaient que, une fois ma mission accomplie, le flot d'énergie mentale purifiée de la planète Terre aurait la puissance d'accorder les fréquences spirituelles de leurs civilisations d'origine. Jésus me regarda: le Jugement Dernier prédit dans ses Saintes Ecritures venait d'être annonce.

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2.5 Objectif Terre.

Mes quatre frères s'estompèrent et je me trouvais à nouveau dans cette obscurité totale. Il n'y avait rien ni devant ni derrière, ni en haut ni en bas, à moins que ce rien n'ait été le Tout. Je m'apprêtais à rejoindre ma nouvelle destination, la planète Terre située au bord d'une galaxie nommée " Voie Lactée" dans ce dernier feuillet d'univers que Dieu avait créé : l'angulation 57. Soudain, à travers mon corps d'hologrammes, un souffle fantastique aspira mon esprit vers une direction qui ne sembla être le haut. L'accélération fut instantanément si forte que mon image s'étira en une mince ligne vibratoire qui se mélangeait à la conscience que je gardais de moi. Je percevais maintenant ce tunnel dont les parois hyperboliques filaient à une vitesse vertigineuse. Je compris que j'étais moi-même cette onde tachyonique d'esprit propulsée entre ces quadriques d'énergie. Les tachyons, particules hyperlumineuses, avaient été un des supports mathématiques de mon hypothèse des feuillets de synthèse ; cependant aucune expérimentation n'avait pu confirmer leur existence effective, et pour cause : j'étais moi-même ici le résultat de cette expérience. Mon voyage à vitesse superlumineuse se déroulait en dehors du temps et je ne faisais que m'accorder à la fréquence correspondant à l'angulation 57. Les incursions dirigées plus tôt par mes frères fils-divins dans leurs dimensions respectives, n'avaient été que des projections virtuelles de leurs univers ; un peu comme l'image d'un objet retransmise par une lentille optique. J'étais propulsé maintenant dans un réel matérialisé, un éclair d'intelligence divine vitrifiée, et je devais d'abord me mettre en phase avec sa résonance pour m'y intégrer. Je perçus alors très fort l'écho de la fréquence 57 dont j'avais un souvenir lointain et, l'instant d'après, j'y émergeais par un tunnel de basculement situé entre le bras "Persée" et la spirale "Sagittaire" de la galaxie Voie Lactée, à quelque 350 années-lumière du système solaire. Ce jeune univers était aussi hétérogène qu'agité, comme si le Grand Architecte l'avait conçu un peu à la hâte. Je distinguais des galaxies en forme d'ellipses, d'autres en spirales ou encore complètement irrégulières. Par endroits, de gigantesques fournaises indiquaient la naissance d'une étoile, sinon d'autres explosaient pour créer des naines blanches". Tout cela se passait ici à un rythme infiniment plus rapide que ce que nous pouvions observer dans mon univers d'origine. L'angulation 57, âgée d'à peine 15 milliards d'années, subissait encore sa phase de chaos en rapport avec les scènes que je venais de voir de la civilisation humaine. Pourrais-je mettre de l'ordre dans tout cela ? Ma tache m'aurait paru bien lourde à supporter si Dieu ne m'avait pas insufflé ce nouveau sentiment que je gardais toujours en moi, la Certitude. Je filais vers le système solaire à vitesse supérieure à c. J'étais cet éclair de conscience plus rapide qu'un photon. Lui, tachyon matérialisé par la technologie divine, faisait partie de la réalité de son univers qui leur interdisait de franchir cette vitesse limite évaluée par les homes à 300.000 kms / sec. Je mis 0,5 U. pour parcourir ce que la lumière aurait fait en 1000 fois plus de temps. Je me stabilisais déjà près de cette boule incandescente d'hydrogène en fusion, le Soleil, entourée de ses compagnes de matière refroidie. Je voyais la fameuse " planète bleue " juste en avant d'une large ceinture d'astéroïdes, sagement placée en orbite entre ses sœurs telluriques Mars, Venus, et la petite Mercure. J'appréciais la beauté originale de ce paysage spatial quand, une fréquence parasite vint me perturber. Je compris que cette fréquence d'onde ne pouvait qu'être superlumineuse parce qu'elle parvint même à dévier légèrement ma trajectoire. Puis le calme revint. Il fut de courte durée car à quelque 2 millions de N.dt. de la Terre, je sentis des secousses si fortes que je dus prendre du recul. Je compris très vite que je me heurtais aux ondes de spiritualité que l'évolution de la vie terrestre avait engendrées. Je saisis immédiatement leur singulier principe de fonctionnement

Les consciences se filtraient dans les cortex cervicaux des organismes vivants sur Terre et les âmes se distillaient ainsi au fur et à mesure des incarnations. Ici, le plus grand désordre régnait aussi à cause de la difficulté à trouver un hôte de chair. Je devais franchir cet obstacle vibratoire pour accomplir ma mission et sauter cette file d'attente indisciplinée. Je tentais une nouvelle approche plus prudente de Cet embouteillage d'âmes et je pus analyser un large spectre de fréquences. Aucune d'elles ne paraissait cependant pouvoir me détecter. Je remarquais que ces ondes de spiritualité obéissaient à une hiérarchie rigoureuse : les vibrations les plus désorganisées formaient une barrière difficile à passer pour les âmes les mieux structurées. Toutes cherchaient un nouveau corps organique à investir et les places se combattaient durement. Les vibrations primitives, plus agressives, se comportaient corne des rapaces et ne laissaient pas beaucoup de chance aux autres. Un instant, je crus percevoir mon propre écho dans ce fatras de spiritualités voraces ; je pus analyser les vibrations de deux esprits anciennement passés par la vie organique d'un home nommé Sakyamuni et d'un autre dit Confucius. Ces âmes stationnaient dans l'espace depuis plusieurs M.U. en attendant une ultime incarnation. Heureusement, mon origine exotique me permettrait de raccourcir considérablement le délai. Je pus repérer d'ici deux fréquences compatibles avec mes objectifs. Elles étaient connectées à deux organismes humains vivant dans une grande agglomération urbaine d'un continent central de la planète bleue. Après une recherche d'axe d'insertion, je projetais mon faisceau à la surface du sol terrestre. J'y fis un tour complet de repérage géographique avant de me stabiliser au-dessus de cette ville aux bâtiments extravagants qui s'appelait Paris, situation temporelle - norme humaine - 21 juin 1992.

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3.1 Rencontre presque fortuite

Paris était quatre fois en joie ce 21 juin de l'année 1992 : L'été célébrait son premier jour en habillant le ciel d'un soleil radieux pour fêter les pères et la musique. En plus, c'était dimanche. Jean-Pierre, ce jeune humain, ne se doutait pas, quand il ouvrit les yeux, que tout ce qui rendait cette journée si agréable le concernerait pleinement.

Il déplia les volets de son logement de la rue Lepic, située dans la partie nord de la ville. Il reconnut le chant joyeux des martinets, et un refrain fameux joué par un gros accordéoniste qui faisait la quête. La fête de la musique commençait bien. Le jeune homme se pencha par sa fenêtre, il était huit heures du matin et les étalages de fruits et légumes finissaient de se monter. Il se sentait d'excellente humeur contrairement aux jours précédents, et se hâta d'enfiler ses habits un peu usés. Je contrôlais la situation de mon poste car j'avais choisi ce jeune homme comme père adoptif. Jean-Pierre dévala les escaliers quatre à quatre avec l'intention de profiter de sa bonne humeur et de la belle journée. Dans la rue, le marché commençait à s'animer et des vendeurs de propagande politique essayaient déjà, vainement, d'accrocher les passants Il prit la côte dans te sens difficile avec comme objectif premier d'acheter deux préparations a base végétale dites "croissants", les meilleures se trouvant plus haut, " place des Abbesses ". En montant, ~ l'angle de la rue Véron, il croisa l'étal d'une des nombreuses boucheries avec son odeur de viande. C'était pour lui toujours un passage difficile et plus encore depuis les prises de position publiques d'un artiste végétarien de sa planète nommé Mc Cartney. De toutes façons, depuis son plus jeune âge, l'idée de se nourrir de cadavres d ' êtres qu'il considérait comme des amis, ne lui plaisait guère ; il préférait de loin manger des " croissants au beurre ". Le jeune homme tenait cette aversion de sa vieille âme, incarnée plusieurs siècles auparavant chez un humble paysan des montagnes tibétaines et mon choix en sa faveur tenait compte de cette expérience. Il arriva sur cette " place des Abbesses". Déjà une file de connaisseurs attendait devant la boulangerie, mais quelques minutes suffirent pour obtenir son butin. Sur le trottoir en face, il vit Maurice attablé, devant un soluté alcoolique, à la terrasse d'une buvette. Maurice ne correspondait pas au genre de personnages qui l'attiraient spontanément - juste une connaissance de quartier. Pourtant, ce matin, Il ne put s'empêcher de traverser la rue pour le saluer. Maurice flottait encore dans les vapeurs éthyliques de la veille. Il trouva cependant la force de lever les yeux, et il reconnut le jeune homme. A ses cotés, une jeune femme aux cheveux noués avalait une boisson noire à petites gorgées. Maurice s'acquitta des présentations d'usage, et proposa à l'ami de se joindre à eux. Jean-Pierre s'assit sans se faire prier ; il connaissait déjà le prénom de la ravissante demoiselle aux yeux d'ébène.

Jacqueline étudiait la peinture aux beaux-arts de la ville de Nice, et elle rendait visite à son cousin Maurice pour la fête de la musique. Elle expliqua qu'elle ne quittait sa belle ville ensoleillée qu'à cette occasion.

-" Pour ça, Paris c'est mieux." Dit-elle en riant à belles dents.

Jean-Pierre fut ravi d'acquiescer tandis qu'une fanfare colorée commençait justement à s'installer en face d'eux. Il commanda une boisson dite " crème bien blanc " en déballant ses croissants. La fille en accepta une moitié, et le cousin Maurice but son verre d'une traite avant d'en demander un autre (une légère impulsion électrique, précisément ciblée dans la région de l'hypothalamus, me permettait de provoquer chez lui cette belle soif ). Le serveur posait à peine le bock sur la table qu'il était déjà vidé. L'harmonie entama alors à pleine puissance les premières notes d'un flot de vibrations musicales après que le leader eut annoncé :

-" Du célèbre Cole Porter : " I love Paris "

Maurice pensa tout haut qu'il devrait mieux rejoindre son lit plutôt que de risquer une commotion cérébrale. Grâce à la stimulation des synapses hédoniques que j'opérais sur elle Jacqueline ne le retint pas et je n'eus même pas a intervenir sur Jean-Pierre. La jeune femme commanda un autre " express " avec la deuxième moitié du croissant qui lui était offerte. Comme les humains du sud, elle parlait beaucoup ; mais je n'étais pas complètement étranger à sa prolixité. L'atmosphère de la " place des Abbesses " favorisait à merveille la production d'un carburant de la reproduction humaine appelé " Amour " ; Elle incita le jeune couple à écouter pendant près d'une heure tout le répertoire et les rappels de la fanfare du 18ème arrondissement de Paris. Jacqueline se déclara très contente après la brillante prestation qu ' elle venait de voir mais la troupe des musiciens rangeait déjà ses instruments et elle devait trouver rapidement un prétexte pour rester en compagnie de ce garçon aussi sympathique que séduisant. D'autres stimulations électriques bien placées m'aidaient à entretenir "cette illusion destinée à perpétrer la race - l'Amour." selon l'expression même d'un éthologiste terrien nommé Konrad Lorenz, dont l'œuvre intéressa nos explorateurs.

-" Ne donne-t-on pas un concert place de la Nation ?" Lança Jacqueline au hasard. Le jeune homme confirma qu'une grande représentation musicale aurait lieu mais "place de la Bastille"; Cependant, le spectacle ne commencerait pas avant 19 heures.

Dans un éclair de génie, il ajouta :

-" En attendant, je peux te faire visiter la capitale."

Je les aidais de moins en moins dans leurs travaux d'approche. Enfin, mes tourtereaux descendaient une rue "Houdon" et en découvrant la population, je convenais que, pour admettre des contrastes aussi remarquables l'humanité, et ce qui l'entourait, avaient été effectivement bien vite conçus. Ils arrivaient maintenant à la fontaine de la place mais je n'étais pas là pour faire du tourisme et j'activais, grâce à des stimuli électriques, la sécrétion d'hormone LHRH dans le sang de mes futurs géniteurs. Au lieu de continuer leur chemin tout droit, le garçon proposa de remonter le boulevard de Clichy jusqu'à la place Blanche. Jacqueline accepta sans se faire prier. Elle fut tout de même surprise par l'étalage d'une telle indécence dans les boutiques de sexe, avec quoi Pigalle s'était taillé sa meilleure réputation mondiale. Son confrère Germain Pilon, sculpteur du "Christ Ressuscité", représentait un autre aspect de la contradiction humaine, en donnant son nom à une des rues les plus sordides du quartier - ils la croisaient en ce moment même.

Chez l'humain, la chimie étant plus puissante que les grands sentiments, cette luxure affichée attisa plus encore l'excitation sexuelle que j'avais enclenchée chez mes deux cibles. Ni le souvenir de l'humble paysan tibétain qu'avait connu Jean-Pierre ni celui de la carmélite, que l'âme de Jacqueline avait habitée, ne résista aux libidos qui culminaient. Arrivés à l'angle de la rue Lepic, Jean-Pierre proposa une visite de son petit studio et quelques minutes après, j'assistais aussi intrigué qu'intéressé à une démonstration de colt Ininterrompu avec bientôt le résultat escompté.

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3.2 Réincarnation

Je devais faire vite ; au-dessus de moi, l'armada des consciences avides de chair humaine était à l'affût et je n'avais pas l'intention que l'on vole le fruit de mon travail. Après tout, ils avaient réussi à crucifier Jésus et je ne devais pas commettre d'erreur d'inattention. Je ciblais, avant même la fécondation, l'ovule récipiendaire. Comme tout cliché holographique, ce fragment infime de l'organisme humain qui l'avait généré en reproduisait l'écho général. Vingt trois spirales d'informations chimiques se préparaient à la rencontre la plus importante de leur vie, celle qui déterminait leur raison d'être. Et puis, ce fut le choc, violent comme un séisme, suivi du mécanisme enclenché Jusqu'à la mort matérielle. Je ressentis dans ce vacarme muet le même sentiment de certitude, de plénitude et de grandeur que J'avais vécue lors de ma rencontre avec l'Essentiel. Dieu était décidément, et maigre ses faiblesses, un habile technicien de la vie. Les chromosomes s'organisaient par couples d'affinités et déjà, la première cellule différenciée offrait, tel un capteur d'ondes radios, un réceptacle à une vibration de conscience compatible. Comme je me trouvais sur les lieux, je pris cette place.

Une intense activité préparait la première mitose et je m'aperçu que désormais, j'y participais pleinement. Les fréquences qui sous-tendaient la vitalité des cellules haploïdes avaient été rappelées par l'organisme de chaque parent et j'étais à présent seul maître à bord de cette nouvelle entité originale. La cellule se divisa selon un protocole bien rodé, les fonctions physico-chimiques assuraient leur travail et il me semblait à ce stade ne leur servir que de caution. Mon rôle le plus important, et ce n'était pas le moindre, consistait cependant à veiller sur la cohésion d'ensemble de cette structure à complexité croissante - mais je n'assurais qu'un contrôle, une membrane vitelline s'occupait de la mécanique. J'allais maintenant accompagner mon hôte pendant cette première étape de la grossesse, accroché à la paroi utérine de sa mère, jusqu'à son expulsion dans le milieu extérieur. Mon association à cet embryon humain me contraignait désormais à une notion que j'avais oubliée : celle de l'écoulement du temps chronologique et, bien que gardant mon expérience d'intemporalité, Je devais patienter 36 semaines avant de voir le jour à travers ses yeux neufs. Je remerciais Dieu de n'avoir pas choisi les éléphantes avec leurs 640 jours de gestation pour représenter l'hégémonie spirituelle terrestre, objet de ma mission. La densité de l'activité ne m'avait pas laissé le loisir d'analyser le résultat de la combinaison génétique de mon nouveau compagnon organique. Je vis que se développerait un beau mâle, grand comme son père, avec les yeux noirs de sa mère. Outre ces caractéristiques morphologiques somme toute secondaires, le nouveau-né aurait une bonne mémoire, et une capacité de déduction logique située dans une moyenne honorable. Son intelligence suffirait pour tirer profit des messages que je lui enverrais. Je vis en lui une prédisposition à la mécanique des fluides et, je ne sais pourquoi, ce détail me frappa. Concernant le milieu dans lequel il évoluerait, le passé karmique des âmes parentales associé a leur situation matérielle précaire mettaient mon hôte à l'abri d'une éventuelle corruption acquise. L'argent et le pouvoir représentaient sur cette planète des facteurs importants de déviation des spiritualités ; Jacqueline et Jean-Pierre ne possédaient ni l'un ni l'autre et leur tendance végétarienne favoriserait le succés de ma mission. Connecté à l'embryon humain dont le corps de Jacqueline alimentait la croissance, je suivais désormais ce binôme organique dans l'espace et le temps ; la bonne cohérence de l'onde spirituelle maternelle me permettait une cohabitation sans Interférence. Je restais attentif au déroulement des duplications d'ADN du fils en élaboration tout en veillant à ce que vivait la mère. Les sécrétions naturelles d'endorphines post orgasmiques avaient calmé les partenaires qui se rhabillaient. Le jeune humain laçait ses chaussures et Jacqueline remontait ses bas. Sans un mot, étourdis par un tel déchaînement génital, ils descendaient déjà les escaliers, envahis par une sensation de bien-être que je pus analyser - Dieu était décidément un fieffé chimiste. Les commerçants de la rue Lepic avaient rangé leurs étalages, il était maintenant deux heures dans l'après-midi, et une belle fringale les conduisit chez un petit restaurateur asiatique sur la rue Fontaine. Ils commandèrent des crevettes au gingembre accompagnées d'un bol de riz blanc. Jean-Pierre expliqua qu'il ne mangeait plus la viande d'aucun mammifère depuis de nombreuses années, à cause des problèmes moraux que cela lui posait. Cependant il ne suivait pas de régime végétarien strict ; les désagréments sociaux connexes le dérangeaient et il n'aimait pas faire figure de marginal. Jacqueline comprenait cette position. Quand elle le pouvait, elle évitait aussi la viande. J'assistais à la scène sans plus intervenir sur les systèmes nerveux des jeunes gens. Les âmes qui les habitaient dont j'avais sondé l'écho depuis l'espace, présentaient une bonne compatibilité. Mon rôle de catalyseur était rempli. L'insouciance caractéristique des Jeunes humains associée à leur passion naissante rendaient le couple euphorique et débordant d'énergie. Après leur frugal repas, Ils reprirent la marche en direction de la place de la Bastille où se déroulerait le grand concert. Pendant ce temps, la multiplication diploïde de l'embryon continuait dans le ventre de Jacqueline. Son âme avait déjà perçu l'arrivée d'un nouveau venu en elle et lui lança un message d'avertissement. Du plus profond de ce que certains humains appellent le subconscient, l'image d'un bébé, que sa raison lui fit associer au souvenir d'elle-même, passa dans sa tête. Elle se souvint alors que la période actuelle correspondait à celle de son ovulation et cela lui procura un léger malaise.

" Jean-Pierre, demanda-t-elle, que se passerait-il si nous avions conçu un enfant tout à l'heure ?"

Le jeune home la regarda, d'abord surpris, puis il sourit et dit :

" Ce serait formidable."

Après un silence, les deux jeunes gens se prirent par la main ; ils savaient leurs destins désormais liés. Sur la place Saint-Georges déserte, une grande boutique d'antiquités où étaient exposés les objets les plus extravagants1 donnait à cette scène une connotation surréaliste, presque naturelle.

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4.1 Nice

Le concert place de la Bastille fut une réussite selon l'avis de tous, mais la belle journée du 21 juin 1992 touchait à sa fin, et après une courte nuit, j'accompagnais la jeune femme qui devait rejoindre sa ville de Nice. La promesse de se revoir fut prise sur le quai de la gare et, lorsque le train s'ébranla, le jeune couple pensait qu'elle serait tenue. Le voyage parut court à Jacqueline qui dormit pendant toute sa durée. Il prit cependant mille fois plus de temps que si nous avions embarqué dans une bouée de transport collectif drhyzienne. La propulsion magnéto-hydro-dynamique n'était pas encore généralisée sur la planète Terre à cette époque, mais surtout, plus que le retard technologique, la mauvaise organisation sociale des hommes freinait : de nombreuses manifestations d'agriculteurs et de transporteurs sur routes qui bloquaient une bonne partie de la circulation de cette zone témoignaient d'un malaise qui aboutirait à un immense chaos. Mais, pour le moment, la jeune femme se satisfaisait d'arriver à bon port dans sa ville de Nice près de la mer, et de retrouver ce qu'à Paris on ne voyait jamais : des plages et des palmiers. Elle rentra dans sa petite chambre située au début de l'avenue Borriglionne avec son fatras d'esquisses et de pinceaux toujours autant en désordre que lors de son départ. Le silence qui pesait la rendit un peu nostalgique de toute 1' agitation parisienne. Elle ouvrit ses volets, et la nuit tombant sur les collines de cette France du sud ajoutée aux sensations qui lui venaient de ses entrailles en transformation, l'amenèrent devant son chevalet où elle posa une toile blanche. Il fallait qu'elle peigne cette apparition de la Vierge à l'enfant qui passait dans sa tête. Jacqueline était une véritable artiste, un élément avancé de cette espèce humaine que j'avais pu classer en cinq catégories.

Il y avait d'abord "les simples d'esprit" et leurs multiples variantes ; ceux-ci ne pouvaient appréhender leur réalité à cause de vibrations spirituelles trop puissantes pour leurs facultés organiques : leur âme pesait lourd pour leur cervelle trop légère. Après, venaient "les producteurs" présentant le défaut inverse: une spiritualité jeune pour un cortex souvent chimiquement performant. Les producteurs ne trouvaient d'intérêt qu'en exploitant directement la matière, ils représentaient une grosse partie de la population humaine et s'approchaient en quelque sorte de ce que sont les Drhyz qui ne possèdent pas d'âme.

Je trouvais ensuite une catégorie que j'appelais " les découvreurs ". Ceux-ci étaient dotés d'une âme bien affinée associée à une excellente capacité de cortex. Ils formaient le lot des scientifiques et chercheurs de bon niveau qui faisaient progresser la connaissance humaine.

"Les créatifs", catégorie minoritaire et marginale, possédaient quant à eux une spiritualité en voie d'achèvement et une intelligence honorable, Ils parvenaient à reproduire, par leur art, une image du Projet divin et représentaient en quelque sorte les messagers du Créateur. Certains jouissaient même d'une vision prophétique des événements.

Enfin, j'avais reconnu "les destructeurs". Leurs intelligences souvent bonnes semblaient peu déterminantes pour leur classification ; leurs âmes importaient. Les destructeurs cristallisaient en eux toutes ces erreurs de Dieu que certains appelaient " Diable ". En souche résistante, ils dirigeaient le tragique destin de la planète Terre. Je devais éradiquer cette catégorie d'hommes mais le combat ne pourrait se mener qu'à l'intérieur de l'espèce ; je devais passer par cet embryon humain qui grandirait pour regrouper les bons et détruire les nuisibles. Jacqueline promenait ses pinceaux entre les bords du châssis, les silhouettes se profilaient déjà, éclairées par la seule lumière que la Lune projetait. Soudain, la sonnerie du téléphone perça le silence et la fit sursauter ; elle échangea les couleurs de sa palette contre le gris du combiné téléphonique, et reconnut la voix de Jean-Pierre. Le jeune homme se languissait déjà d'elle et il ne parvenait pas à s'endormir. Il proposa de la rejoindre immédiatement plutôt que de se retourner sans arrêt dans son lit vide. Jacqueline le réconforta de quelques mots tendres. Elle était heureuse de l'entendre et l'aurait accueilli à bras grands ouverts mais comment pourraient-ils vivre ? Ses deux journées de travail par semaine lui suffisaient à joindre péniblement les deux bouts. Le taux de chômage dans sa région valait bien celui de la capitale et ni leur Premier ministre André Coignart, ni le grand argentier Michel Bougnat n'y changerait quoi que ce soit ; plus personne n'était dupe. Jacqueline avait un tempérament bohème, mais elle savait également garder les pieds sur sa Terre. Après une négociation serrée, elle persuada le jeune homme de patienter au moins trois mois avant de la rejoindre. Il annulerait ses projets de vacances pour travailler tout l'été dans ce bureau de poste de PIGALLE, qui lui sortait pourtant par tous les pores de sa peau. Les deux jeunes gens, rassurés par leur décision, se souhaitèrent bonne nuit et chacun put enfin trouver le sommeil. Les jours suivant s'écoulèrent calmement. Bien sur, une violente guerre civile ravageait une zone voisine, mais elle restait ici une abstraction dont on voyait des images télévisuelles. Les terriens vivaient très habitués à ce genre de conflits et leur histoire pouvait se raconter à travers les massacres qui, de tous temps, les avaient déchirés. On annonça aussi, début juillet, des émeutes et la mort d'un chef de clan, assassiné, de l'autre côté de la mer : un différent mystique. La nouvelle agita des ondes ; la violence faisait partie du quotidien, banale. Certes, des hommes se révoltaient parfois, s'engageaient même, mais tous savaient les "destructeurs" plus puissants et la résignation finissait par remplacer l'indignation. Jacqueline avait fait partie du lot des résistants. Elle avait milité quelques années plus tôt dans un regroupement de pacifistes mais, après beaucoup d'énergie et de temps dépensés, quand elle apprit que des responsables volaient l'argent du mouvement, elle conclut que " le Diable était plus fort que le Bon Dieu ". Alors elle choisit de se réfugier dans l'art en essayant de sauver sa petite vie quotidienne, et " advienne que pourra

Les cours aux beaux-arts se terminaient, et Jacqueline entreprit une tournée des galeries de la région pour vendre ses tableaux. Le reste du temps, elle installait son chevalet sur la place Saint-François dans le vieux Nice ou montait en car dans le village de Saint-Paul, prés de Vence, pour traquer le touriste. Elle savait maintenant qu'elle attendait un enfant et préparait la venue du père et du fils, - comme représentant du Saint-Esprit, j'étais déjà là.

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4.2 Mutation

Depuis deux semaines que Jacqueline avait quitté Paris, Jean-Pierre l'appelait quotidiennement. Chacun tentait de maîtriser son impatience mais ce soir du 6 juillet, le jeune homme sentit un changement dans le ton ; les propos mêmes de la femme se modifiaient comme si la distance géographique qui les séparait vérifiait maintenant un dicton humain : " Loin des yeux, loin du cœur ". Le jeune homme inquiet voulut la rejoindre tout de suite mais, essuyant un refus froid et catégorique, il dut se résigner la mort dans l'âme. Je fus tout aussi surpris par ce comportement soudain que rien ne laissait prévoir. L'embryon suivait pourtant un développement normal et le mésoderme s'était bien formé. Je devais analyser de plus près la situation pour comprendre ce qui arrivait. Je passais en revue les différentes constantes biologiques jusqu'à remarquer une sécrétion légèrement insuffisante d'hormones stéroïdes accompagnant la grossesse. Outre ce petit déficit en œstrogènes et progestérone, je percevais moins nettement l'écho vibratoire de l ' âme qui habitait Jacqueline. Je saisis bientôt pleinement le drame qui se produisait quand la jeune femme s installa devant ce tableau commencé dès son retour à Nice. La nuit était tombée et la pluie diluvienne qui inondait la région depuis quelques jours n'avait de cesse. Jacqueline regardait la toile en se demandant pourquoi cette cassure s'opérait en elle puis, bloquant Sa palette de couleurs avec le pouce, elle y posa précisément quelques touches de pigment. La jeune femme contempla longuement son œuvre presque achev6e. Une Vierge à la chevelure d'or portait sans effort, au creux de ses bras repliés, l'enfant Jésus protégé dans un drap de lin écru. La trame de la peinture était d'une finesse telle qu'elle l'aurait crue réalisée par un maître de l'école flamande du XVIIème de ses siècles. A l'arrière plan, un ciel ouaté éclairait une belle vallée paisible. Jacqueline mélangea consciencieusement le bleu de cobalt avec le jaune de cadmium. Elle voyait exactement ce vert dont elle habillerait le paysage encore esquissé puis, parvenant enfin, à force de patience, à la teinte souhaitée, elle rinça son pinceau jusqu'à ce qu'il n'en sorte qu'une eau claire, le plongea dans un bleu outremer et l'approchant de la toile, peignit la vallée bleue monochrome de la planète Drhyz : j'assistais à mon osmose avec cette jeune femme qui puisait déjà dans ma mémoire. Les mitoses des cellules de l'embryon s'étaient arrêtées. Je compris que cet enfant qu'elle portait en son sein ne grandirait jamais parce que l'entité maternelle ne pouvait tolérer plus longtemps ma présence. La spiritualité de Jacqueline s'éteignait devant moi mais plus encore, le bouton embryonnaire que j ' avais investi servait désormais de facteur mutagène pour son organisme. Dans un sursaut de personnalité propre, Jacqueline se leva jusqu'à son miroir et regarda son corps qui lui échappait déjà. Sur sa tête, ses cheveux blondissaient et dégageaient largement ses tempes, ses sourcils presque disparus, rehaussaient de grands yeux aux iris indigo. Jacqueline voyait, avec la plus grande sérénité, son enveloppe se transformer en un mélange d'humain et de Drhyz. Son intellect gardait pourtant une identité mais son âme se fondait en moi comme un ruisseau se jette dans un océan. La jeune femme ne comprenait pas ce qui lui arrivait, elle savait juste qu'il le fallait. Sa raison décodait ce profond sentiment de certitude que Dieu m'avait transmis. Je ne savais pas moi-même que cet être humain servirait de support direct à mon incarnation hybride; ce choix fait parmi des millions de terriens m'appartenait - il ? S'agissait-il d'une erreur ou de la volonté propre du Créateur ? Devais-je, pour accomplir ma mission, suivre un chemin sinueux corne celui que la vie doit prendre à travers la chimie organique ? Ces sacrifices humains étaient-ils programmés ? Ces questions ne trouvaient pas de réponse en moi et moins encore chez la jeune femme que j'accompagnais ; pourtant toutes ces interrogations ne généraient pas le moindre doute en nous, la Certitude était bien plus forte.

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4.3 Du Bleu

Quelques jours suffirent et Jacqueline fut morphologiquement complètement transformée. Sa poitrine s'était aplatie, ses doigts allongés et sa tête dont le front s'était bombé, n'était plus recouverte que d'un fin duvet incolore. Pendant la mutation, elle n'avait pas quitté sa chambre ni décroché ce téléphone qui sonnait à intervalles réguliers. La modification progressive de ses traits captait toute son attention. Elle ressemblait maintenant à un androgyne venu des pôles glacés de sa planète et sa nouvelle voix éraillée accentuait cette ambiguïté sexuelle. Fixant encore ce reflet nouveau que le miroir renvoyait d'elle, elle articula:

- " Je m'appelle Jacqueline Hughien-Leroy, j'ai 22 ans, j'étudie l'art de la peinture A l'université de Nice."

Après un silence, elle ajouta :

-" Je dois fonder la nouvelle armée de l'unification qui nous conduira vers Dieu."

Jacqueline ôta ses vêtements ; la mutation avait demandé beaucoup d'énergie. Elle n'avait bu que de l'eau pendant prés d'une semaine et avait perdu une dizaine de kilos depuis le début de son aventure ; Elle observa la crête iliaque de son bassin amaigri qui laissait apparaître une saillie sous la peau, elle gardait son anatomie génitale féminine mais cette différenciation ne présentait plus d'intérêt pour elle. Elle cacha ses formes anguleuses sous un jean et un imperméable large, mît devant ses yeux une paire de lunettes sombres, sur sa tête un bonnet à rayures bleu marine et sortit de sa chambre. La jeune femme allait confiante et je n'intervenais pas ; ma présence lui indiquait l'objectif, sa raison donnerait les moyens de l'atteindre. Elle marcha à pas rapides jusque ' à l'avenue Jean Médecin. Il était deux heures de l'après-midi et le soleil revenu avait attiré une foule dense de promeneurs. Jacqueline se dirigeait vers la rue Pastorelli tandis que trois phonèmes résonnaient déjà dans son cerveau : I-B-K

Elle arriva enfin devant ce magasin qu'elle connaissait bien et poussa la porte de la maison FRANCISCO. Elle reconnut l'odeur particulière des fixateurs mêlée à celle des papiers chiffon et de l'essence de térébenthine. Un vieux vendeur sortit de l'arrière-boutique et avança vers sa cliente. Ses petits yeux gris s'allumèrent d'une lueur de surprise lorsqu'il approcha plus. Il avait, certes eu affaire à bien des originaux dans son métier mais cette fois-ci, tous les records d'excentricité étaient pulvérisés.

-" Que puis-je pour votre service ? " Demanda l'homme sans s'aventurer plus loin dans la définition de son interlocuteur.

-" Du bleu." Fit Jacqueline dans un souffle rauque.

Le vieil homme acquiesça derrière ses petites lunettes rondes et s'enquit de détails supplémentaires en énumérant le contenu de ses stocks :

-" En acrylique, nous avons un très beau bleu outremer de chez Aquatex, sinon, cette marque fait aussi un bleu dit " électrique " ainsi qu'un bleu roi ; en huile, la gamme Van -Eyck propose les tons classiques plus un bleu " ardoise d'une grande finesse et un bleu azur de très bonne qualité ; lequel désirez-vous ?

Jacqueline prit un court instant de pause puis ôta ses lunettes noires pour dévoiler au vendeur ébahi ses grands yeux indigo.

-" Du bleu pigment primaire et de l'huile de lin, - I.B.K. " Dit-elle.

Le vieil homme allait de surprises en stupéfactions ; cela faisait trente sept ans qu'il tenait ce magasin de fournitures d'art mais jamais il n'avait vu un pareil énergumène. Il vendait bien, de temps à autres, de la toile de coton brut que des clients enduisaient chez eux par souci d'économie mais, fabriquer soi-même sa peinture relevait plus de l'anecdote. Il crut se souvenir cependant que cette même question lui fut posée au moins trente ans plus tôt par un jeune home habillé de bleu des pieds à la tête - mais que pouvait bien signifier " I.B.K." ?

-" Ecoutez, je ne vends pas souvent de pigments purs, dit-il, je crois pourtant en avoir commandé une petite quantité pour un client il y a longtemps. Peut-être pourrais-je le retrouver dans la cave du magasin ; quant à l'huile de lin, ne vous inquiétez pas, nous n'en manquons pas. Pouvez-vous repasser dans environ une heure ? Avec un peu de chance, je trouverai ce que vous cherchez."

Jacqueline accepta d'un hochement de tête et quand elle s'apprêtait à sortir, le vieil homme questionna :

-" Pouvez vous préciser ce que vous entendez par I.B.K. ? "

-" 458,96 nanometres" répondit-elle en remettant ses lunettes et laissant le marchand plus intrigué encore.

Le vieil homme regarda ce client hors normes sortir de son magasin en se disant que la nouvelle génération artistique promettait de faire parier d'elle. Son émotion avait été si forte qu'il ferma la porte de la boutique et y accrocha l'écriteau " De retour dans quelques minutes " avant de descendre à la cave. L'entrepôt regorgeait de marchandises mais tout était rangé minutieusement ; l'homme se diriga vers la section des peintures et déchiffra l'intitulé des tiroirs : Acryliques - vermillons ; Huiles - terre de Sienne ; Huiles - blanc de titane ". Il ajusta mieux ses lunettes et lut sur l'étiquette du casier le moins accessible: " Divers, Invendus, Substrats secs, Pigments.". Il tira l'escabeau coulissant, et dut monter sur la troisième marche pour ouvrir ce dernier compartiment. Tout au fond, il reconnut ces deux petits sachets de pigment bleu qui dormaient là depuis plus de trente ans, Il en saisit un sur lequel une note écrite de sa main Indiquait :

" Pigment base bleue, 12 grammes, commande de monsieur Yves Klein, juillet 1961."

Toute cette histoire lui revint alors en mémoire. Yves Klein, ce Jeune client toujours habillé en bleu, dont la presse locale avait parlé juste après sa mort en 1962, s'était construit une réputation en enduisant le corps de femmes nues de peinture bleue pour en imprimer les silhouettes sur de grandes toiles blanches. Klein avait conçu un bleu original qu'il avait fait breveter sous le label " International Blue Klein " peu de temps avant sa crise cardiaque fatale. L'I.B.K. se situait, selon les termes de l'artiste : " Hors de dimensions, alors que les autres couleurs, elles, en avaient." Le vieil homme ne savait pas que la découverte d'Yves Klein valut le rappel de son âme par le Grand Créateur dans l'attente du moment de l'Unification ; il remonta lentement les escaliers avec les deux sachets de pigment et une petite bouteille d'huile de lin. A peine eut-il déverrouillé la porte que Jacqueline apparut pour prendre ce dont elle avait besoin en laissant sur le comptoir son dernier crédit de 200 points.

La jeune femme se hâta de rejoindre sa chambre. Elle déballa ses cours sur la théorie des couleurs rangés dans le fond d'un placard et commença à effeuiller les notes qui portaient en exergue ce constat d'ignorance :

Il n'existe pas aujourd'hui de théorie définitive de la couleur."

Elle passa sur les " Compositiones ad tingenda musiva ", ce manuscrit de l'époque du souverain Charlemagne traitant des méthodes de fabrication des tons bleus en occident. Puis elle vit les techniques d'immersion et de cuisson dans la guède. Les indications de Léonard De Vinci, énoncées dans son traité Sulla Pittura ", retinrent encore son attention et elle lut à nouveau cette phrase du peintre Kandinsky tirée de son ouvrage : " Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier

"Le bleu profond attire l'homme vers l'infini, il éveille en lui le désir de pureté et une soif de surnaturel."

Jacqueline tourna plus vite les pages de son cahier et parvint à l'information recherchée. Elle lut le petit paragraphe à haute voix :

"Yves Klein, peintre français, Nice 1928 - Paris 1962, pionnier d'un art expérimental avec ses monochromes bleus, ses "anthropométries" - empreintes de corps nus enduits de peintures, ses "reliefs planétaires". Il conçoit un ton de bleu et en dépose la formule sous le nom d' I.B.K. - International Blue Klein-. Aucun artiste peintre n'est autorisé à ce jour à utiliser ce bleu original dans ses tableaux. Yves Klein meurt dans la force de l'âge, alors que rien ne le laissait prévoir, d'une crise cardiaque.

Formule de L'I.B.K. : - Pigment pur basique bleu 8 grammes.

- Laisser macérer 48 heures dans 2 ml d'huile de lin.

- Essorer le produit et le laver à l'éther.

-Rajouter ici d'huile de lin émulsionnée dans 2cl d'éther.

- Conserver le produit à l'abri de la lumière.

Analyse Physique :

- Longueur d'onde émise : 458,96 nanometres.

- Seuil de facteur de pureté: 0.001

- Facteur de luminance : 0,426.

Jacqueline suivit scrupuleusement la recette d'Yves Klein, à la différence prés

qu'elle ajouta au mélange final 0,5 millilitres d'eau déminéralisée. Trois Jours plus tard, la longue vallée devant laquelle la Sainte -Vierge tenait son enfant Jésus s'habillait du bleu interdit, 458,999 nanometres, qui projetait dans toute la pièce le rayonnement divin.

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4.4 Révélation

La Jeune femme disposait maintenant de l'outil qui permettait de rassembler l'armée de l'unification. Elle attendit plusieurs heures que les ultimes coups de pinceaux posés sur la toile sèchent complètement, puis enveloppa sa " Vierge & l'enfant " d'un large papier cartonné. Elle but une bonne rasade d'eau fraîche et retrouva l'animation des rues ensoleillées de Nice. Jacqueline descendait encore l'avenue Jean Médecin mais continua cette fois jusqu'à la fontaine de la place Massena où elle s'assit. Quelques touristes intrigués par son allure étrange la regardaient et se chuchotaient leurs commentaires. La jeune femme déplia alors l'emballage protecteur du tableau, le posa contre le rebord de pierre de la fontaine et obtint immédiatement le résultat escompté : un des touristes qui l'observait depuis quelques minutes s'approcha d'elle, délaissant ses compagnons surpris sur le trottoir voisin. L'homme blond au type germanique s'immobilisa en face d'elle, ôta humblement sa casquette puis s'agenouilla devant la toile peinte en baissant les yeux. Jacqueline posa sur lui son regard violet et dit :

-" Tu es le premier à rejoindre l'armée de l'unification qui nous amènera vers Dieu parce que tu as su reconnaître le reflet de la vibration essentielle, d'autres te rejoindront bientôt."

Corne s'ils avalent compris ce qui se produisait, les compagnons du jeune allemand ne tentèrent pas de le ramener à eux ; deux d'entre eux se regardèrent furtivement et, d'un commun accord, s'empressèrent de quitter les lieux. Le Jeune Helmut avait identifié la fréquence émise par ce bleu divin que Klein avait presque retrouvé. Le Créateur avait rappelé l'artiste à lui parce qu'il 8'approchait trop du but alors que ses semblables humains n'étaient pas encore prêts à recevoir une image matérielle de la fréquence divine. Le regroupement se poursuivait toujours ; les promeneurs qui passaient à proximité de la fontaine Massena voyaient qui leur ami, qui leur enfant, rejoindre Irrésistiblement la couleur divine. Ceux dont les âmes étalent trop jeunes encore pour saisir l'appel assistaient ahuris à cette scène surnaturelle ; les hommes aux âmes destructrices comprenaient, eux, le danger et s'enfuyaient par les rues voisines et tous sentaient qu'un tournant fondamental de leur histoire s'opérait. Quant A moi, Kuhing, ma mission sur Terre touchait à sa fin. J'avais remis les hommes sur la voix du Projet ; A eux de terminer maintenant l'œuvre que Jésus avait commencé deux mille ans plus tôt et, la tâche ne serait pas facile.

J'entendais le Grand Initiateur me rappeler. Le soir était tombé sur la ville de Nice et la place Massena regorgeait de monde. La nouvelle avait déjà fait plusieurs fois le tour de la Terre et des haut-parleurs annonçaient la venue du Dalaï-Lama et du pape Jean-Paul II, à peine remis d'une récente Intervention chirurgicale. Le Grand Rabbin Setruk et le Recteur de la mosquée de Paris arrivaient juste, et se frayaient un chemin entre les milliers de personnes agenouillées autour de la fontaine Massena. Pour moi, l'heure du départ approchait. Jacqueline, debout, leva ses yeux vers le ciel dont la teinte rappelait étrangement celle de la vallée du tableau, et soudain la synthèse s'opéra. Dans un hurlement ultra- sonore, la couleur des Iris de la jeune femme se fondit dans celle des cieux et du bleu de la peinture. Je sentis alors cette fulgurante accélération qui me propulsait hors de la dimension 57.

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5.1 Retour à l'envoyeur

J'avais quitté la planète Terre chargée du message que je devais transmettre, et je me retrouvais à nouveau à l'interface des univers matériels et de leur source. L'agitation ondulatoire avait laissé la place à une obscurité doublée d'un silence épais. Ma décélération permit la formation progressive de mon image holographique. Suspendu dans ce vide noir, j'attendais que mes quatre frères- fils de Dieu réapparaissent à mes côtés mais telle ne fut pas la volonté du Créateur. Je demeurais dans cet état peut-être des millions de M.U. ou bien quelques nano-secondes avant qu'il me semble percevoir une faible lueur Jaune. Je tentais de fixer ce signal qui m'était envoyé quand soudain un éclair de la puissance de l'explosion d'une étoile submergea mon esprit. La luminosité résiduelle fut telle que je crus assister à ma propre renaissance ; puis, avant même de pouvoir distinguer le moindre élément alentour, Je ressentis une douleur d'une violence inouïe me traverser le corps. J'eus l'impression de m'affaisser sur un sol dur tandis qu ' une voix connue égrenait des sons synthétiques qui prirent progressivement un sens :

". F24/856 Température d'émergence ~85 Sortie tunnel de basculement 0,5 U.- Système de stockage cérébral déconnecté - Champ Magnétique, extinction : -0,6 U."

J'ouvris les yeux en secouant mon crâne étourdi. Au-dessus de moi, la sphère de contrôle de la soucoupe volante indiquait le point d'émergence dans la dimension 24 par le tunnel de basculement 856. Je me levais avec l'impression de peser des M.Rg. et Je réalisais que les lois de la pesanteur régissaient à nouveau mon corps à nouveau matérialisé. Je m'installais le plus rapidement possible sur le siège de pilotage et je bouclais casque, harnais magnétique et coque de protection. Le système de stockage cérébral se mit en marche immédiatement, et je me réveillais bientôt sur la frange extrême de la galaxie Ixa. Le pilotage automatique de mon vaisseau spatial s'interrompit et je dus reprendre rapidement les commandes. Je déplaçais légèrement mes doigts sur les touches à effleurement et programmais une vitesse ultra réduite. L'ordinateur confirma l'ordre, et la soucoupe volante ralentit Jusqu'à atteindre l'allure d'un Drhyz qui marche à pieds. Je me libérais de tous mes carcans protecteurs et je me levais dans la vaste capsule de pilotage. Au-dessus du dôme, un binôme d'étoiles incarnates confirmait ma situation dans la dimension 24. Avais-je vraiment vécu ces événements dont Je gardais le souvenir? Sur le plancher, cette valise ouverte et vide d'outils paraissait l'attester. Cependant, Si le Créateur me retournait à l'envoyeur, il prenait soin de me rendre dans mon état de départ : un simple Drhyz mortel avec ses limites et ses doutes. Un profond malaise me souleva brusquement le cœur, je me souvins qu'il correspondait à un besoin pressant de nourriture. Je saisis le conduit d'alimentation d'urgence pour le connecter directement a mon système artériel. Le riche substrat gluco-protéique qui diffusait dans mon corps calma progressivement mes troubles, mais cette indisposition organique passagère se situait au rang de l'égratignure par rapport aux souffrances mentales qui m'attendaient.

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5.2 Ni gloubas, ni ganamous.

Les solutions qui s'offraient à moi écourtèrent mon temps de réflexion. Je pouvais prendre une destination nouvelle, rentrer sur Drhyz 08, ou actionner le système d'auto destruction de la soucoupe. Si ce que j'avais vu précédemment ne provenait pas de mon imaginaire, cette troisième solution ne réglerait aucun des problèmes. L'hypothèse de chercher une autre planète viable dans cette dimension 24 faillit me séduire ; Dieu semblait m'avoir rendu un libre arbitre, et je savais qu'il existait, dans une galaxie voisine, des astéroïdes confortables ou seule une végétation luxuriante et comestible s'était développée. Finir cette vie matérielle à me régaler de gloubas et de ganamous sans personne pour me déranger n'était-il finalement pas le meilleur choix ? Je tranchais cependant en programmant sur l'ordinateur de bord " Direction latitude ~ *~3, abscisse cosmique *<41, feuillet 24 ". L'instant d'après, la voix de synthèse confirma :

"Données enregistrées, arrivée prévue sur Drhyz 08 dans 40 U.".

Les difficultés, depuis mon enfance, m'avaient toujours attiré et, apparemment je restais le même. Je m'installais prêt à repartir vers ma planète d'origine, quand une sensation très désagréable s'empara de moi, L'origine du malaise ne provenait pas du soma ; il s'agissait plutôt d'un dérèglement de l'idéation, qui provoquait une nausée à peine supportable. Cela dura quelques centi-U. avant de se calmer sans que je sache pourquoi. " Est-il possible de se sentir aussi mal pensais-je, inquiet après une telle douleur. Je vérifiais que la réserve d'enképhaline-synthèse se trouvait bien dans le compartiment de soins du bord et, rassuré, j'en saisis une capsule pour la fixer au bout de mon index. En cas de récidive de l'affreuse souffrance, je n'aurais qu'à presser mes deux doigts pour que la puissante substance antalgique me traverse le derme et se dirige immédiatement vers mon centre nerveux. Le blocage du harnais déclencha le redémarrage du vaisseau, le prochain basculement se produirait dans 17 U., le gel d'amortissement fut réinjecté dans la coquille translucide qui m'abritait et il se figea presque dans l'instant, jusqu'à ce que l'aérodyne atteigne son allure de croisière. Je pensais à mon retour sur Drhyz 08, à la stratégie qui me permettrait d'affronter à nouveau le Grand Magellan et son conseil car enfin, je revenais sans la moindre preuve tangible de ce qui s'était passé. Les Terriens, eux, avaient bien vu le bleu divin mais comment pourrais-je le montrer aux Drhyz ? Les coefficients de diffraction de la dimension 24 ne correspondaient pas à ceux de l'angle 57 et le lin n'existait pas chez nous. Je filais vers Drhyz OS en pensant encore à ces succulents ganamous que j'avais choisi de ne pas goûter et au plan d'action à élaborer. Enfin, après 2 U. d'une intense concentration, mon épuisement physiologique m'amena dans un sommeil aussi profond que naturel. Le repos fut de courte durée. Je fus réveillé par l'intense douleur qui m'avait envahi précédemment. Je raidis mon corps pour le faire patienter mais cette fois, le mal tardait est se dissiper. Je dus presser sur la capsule d'enképhaline pour enfin retrouver le repos. J'interrompis momentanément le cycle du pilotage automatique ; je devais chercher ces petites capsules contre le mal abominable qui s'installait en moi. Il restait huit doses d'enképhaline dans la trousse et j'en plaçais une sur la dernière phalange de mon index et une autre sur le majeur. Je levais les yeux vers le dôme du vaisseau spatial, une comète scintillante passa juste au même moment. Le souvenir de l'atroce douleur me fit monter des larmes dans les yeux ; je ne me souvenais pas que cela me soit arrivé un jour. Je ne pus alors m'empêcher de hurler de toutes les forces qui restaient en moi :

" Pourquoi me fais-tu subir ça, Dieu des univers ? Pourquoi m'as-tu abandonné?" Je n'eus que le silence pour me répondre.

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5.3 Rencontre presque fortuite 2.

Je me fixais à nouveau sur le siège de pilotage et je parcourus la moitié du voyage sans que la terrible douleur ne m'envahisse encore. Sans doute provenait-elle du choc de rematérialisation que je venais d'essuyer. Je me rassurais en pensant que, ma mission accomplie, le Créateur n'avait aucune raison pour m'infliger un tel châtiment. Je lui demandais pardon d'avoir douté de sa clémence, même si je ne savais pas pourquoi je redevenais ce simple mortel fait de chair et de sang. Le trajet se poursuivit sans problèmes et je reprenais peu à peu confiance en moi. Je devais élaborer une stratégie pour convaincre la population Drhyz et en premier lieu le conseil du Grand Magellan du bien-fondé de ma théorie du feuillet synthétique et du Projet Final dont le Créateur m'avait informé. Ma seule réapparition sur Drhyz 08 ne constituerait pas une preuve suffisante, les programmations des vaisseaux intergalactiques sur d'aussi longues distances n'étant pas infaillibles à 100%. J'optais pour une solution de camouflage : échapper aux sondes radars et me poser sur une zone peu habitée de ma planète. Je pourrais ensuite rejoindre une agglomération et me procurer des vêtements courants.

Satisfait de ce plan, je me permis une autre pause de sommeil, en gardant au bout de mes deux doigts les petites capsules calmantes.

Je me reposais paisiblement depuis près de 3 U. quand un sentiment étrange me réveilla. Je me raidi par réflexe en m'apprêtant à crever avec le pouce la première dose d'enképhaline mais il s'agissait d'autre chose. Je regardais autour de moi, tout se déroulait comme prévu et la sphère de contrôle annonçait l'approche du dernier tunnel de basculement avant mon arrivée dans le système astral Drhyz. Pourtant, je restais convaincu que quelque chose d'anormal se produisait. Je décidais une fois encore d'interrompre le système de vol automatique et de vérifier l'ensemble de la salle de pilotage. L'ordinateur annonça : " Pression intérieure caisson : normale ; Gaz caisson : normal ; ultra-réduction de vitesse demandée" et je me débarrassais déjà de mon encombrant accoutrement. Je fis quelques pas dans la capsule pour m'approcher des larges hublots latéraux A l'extérieur, l'espace sombre s'étalait à perte de vue. Des étoiles lointaines scintillaient, je traversais une zone cosmique désertique. Je me mis à vérifier le bon fonctionnement de l'opacifiant, et la vitre prit une teinte métallique ; le problème venait d'ailleurs. J'entrepris alors d'ouvrir systématiquement tous les compartiments de survie mais rien ne manquait : combinaison de rechange, trousse médicale, réserve de nourriture ; même le système de vibrations musicales était bien à sa place - d'ailleurs qui aurait bien pu l'en enlever ? . Mais mon intuition tenace ne me lâchait pas. Elle m'incita à interroger l'ordinateur du bord. La machine assura que le voyage se déroulait normalement en énumérant :

" Déviation sur la trajectoire programmée : 0 - Carburant consommé : 2,8 % - Gaz respirable consommé : 0,1% - Température interne : 4l~ ; température externe : --83v- Aérodyne apte A poursuivre son vol."

J'admis que mon intuition défaillait mais je questionnais une dernière fois, par acquis de conscience, le cerveau de la machine volante:

" Autres données disponibles ?"

Sur un petit écran témoin, l'ordinateur inscrivit :

" Zone cosmique traversée : F24/*123 - Vitesse O, 2bs - Nombre de passagers : 2 "

Un frisson parcourut tout mon corps et provoqua une pilo-érection du fin duvet qui recouvrait encore mes avant-bras. Je secouais ma tête et je relus la dernière information qui indiquait bien : " nombre de passagers : 2 ". Je regardais autour de moi, personne d'autre ne m'accompagnait dans cet engin. Je pensais soudain à l'unique endroit où un intrus éventuel pouvait se glisser : dans le réduit qui contenait les scaphandres de sortie en atmosphère létale. Je me dirigeais devant sa porte et en saisis la lourde poignée. Je renouais avec ce sentiment dont le Créateur avait doté la plupart des organismes vivants : la peur. Je déverrouillais cependant la fermeture et, je vis jaillir de l'obscurité deux éclairs, bleus comme des lapis lazulis, qui éclairaient le visage de Jacqueline.

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5.4 L'épreuve

Jacqueline me regardait sans un battement de paupières et m'apparaissait sous le même aspect que lorsque j'avais quitté la Terre. Je ne savais quoi dire, surpris comme un arroseur venant de se faire arroser. La jeune mutante rompit le silence :

" Pauvre Kuhing, la tâche dont le Créateur t'a investie est aussi ingrate que lourde. Je t'accompagne dans ton voyage mais je ne pourrai pas partager la souffrance suprême que tu supporteras parce que toi seul entité vivante la plus avancée de toutes, doit distiller les âmes destructrices de la planète Terre. Je ne sers que de connexion par laquelle elles arrivent à toi pour se purifier et permettre bientôt le Big-bang de l'unification."

Une sueur froide coula sur mon visage à l'écoute du message de la jeune femme. Elle m'expliquait que, comme Jésus de Nazareth, j'allais racheter les crimes des homes mais à un degré bien plus fort encore - la purification finale se payait à ce prix. Je n'eus pas le temps de m'émouvoir plus, un flot des vibrations atroces jaillit des yeux de Jacqueline et se projeta en moi. Je reconnus la terrible douleur qui semblait provoquer l'expulsion de mes entrailles par la bouche. Je pressais aussitôt la première capsule entre mes doigts mais la puissance du mal m'obligea à utiliser la seconde. J'eus un court instant de répit et déjà une autre pulsion de cette fréquence infernale passa par les yeux de la mutante, me touchant de plein fouet. La souffrance atteignait des sommets intolérables comme Si je sentais l'ensemble de mes organes internes sortir par les sphincters. Cette abomination dura quelques centi-U. qui me parurent longs corne une vie. Je m'étais écroulé sur le sol et Jacqueline s'approcha de mol pour me ramasser. Elle m'allongea sur un siège de pilotage et me parla avec une douceur apaisante:

-" Reviens à toi, Kuhing, fils de Dieu, la noblesse de ta tâche est à la hauteur de ton calvaire ; tu viens de digérer sept mille âmes destructrices de Terriens. Depuis que tu as quitté ma planète, les batailles font rage, l'armée de l'Unification avance pas à pas mais les destructeurs résistent farouchement. Seuls dix mille d'entre eux ont été détruits physiquement. Je t'ai envoyé leurs âmes, et tu les as lavées dans ta souffrance."

A l'écoute de ces chiffres, je compris que les six capsules d'enképhaline ne me seraient plus d'aucun secours puisque la densité d'âmes humaines destructrices que j'avais évaluée se situait aux alentours de huit millions. Il faudrait que je les engloutisse, par petites doses, au rythme des combats. J'interrogeais Jacqueline sur le comment de sa présence ici. Qui lui avait enseigné si précisément l'objectif du Projet final? Elle se retourna et s'installa devant un clavier alpha numérique qui desservait l'ordinateur de bord. Elle tapota une expression d'un mouvement rapide des doigts et je vis apparaître sur l'écran témoin :

"YIij*459oo~254 *>898_ 659 -tg487+a"

-"Mais tu écris la première équation de ma théorie du feuillet synthétique". M 'exclamais-je stupéfait, comment sais-tu ?

Un sourire s'esquissa sur les lèvres de la jeune femme :

-" Tu vois, Kuhing, répondit-elle maintenant je suis un peu de toi - même."

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6.1 Adhryzage par le fond.

Nous arrivions à proximité du système planétaire Drhyzien et déjà la sphère de contrôle projetait l'image tri axiale de Loan et de sa compagne stellaire Wolf. L'ordinateur précisa de sa haute voix synthétique:

" Arrivée prévue sur Drhyz 08 dans deux U ; système de brouillage connecté. "

Malgré les derniers événements, j'employais ma tactique de camouflage pour revenir chez mes semblables. Jacqueline, canal d'arrivée de mes douleurs, était assise prés de moi sur un siège de pilotage. Nous observions la multitude de planètes et d'astéroïdes que l'espèce Drhyz avait colonisés depuis des G.M.U.

Nous devions maintenant passer entre les mailles du filet du réseau de détection radar. Le système de brouillage de la soucoupe annulait notre écho mais mieux valait prendre un itinéraire spécial pour ne pas être repérés. J'avais travaillé plusieurs M.U. plus tôt dans le quartier général des bases supra-galactiques, et je connaissais des zones moins accessibles à la surveillance. Je pris la soucoupe en commande manuelle et J'allumais devant moi l'écran de vision frontale. Je contournais Wolf en passant entre Drhyz 13 et Drhyz 17 puis je cassais ma trajectoire d'un angle de 780 pour voler au nord de Drhyz 38. Nos deux étoiles diffusaient cette lumière pâle que je retrouvais avec un certain plaisir, et j'apercevais bientôt ma petite planète 08. Je donnais une forte accélération à mon vaisseau et je survolais déjà à basse altitude le pôle sud où l'un de nos deux océans étendait son eau calme. Drhyz 08 était à peu prés de la dimension de la planète Terre et Jacqueline paraissait curieusement, elle aussi, retrouver un territoire connu. Nous effleurions maintenant la surface de l'eau et je ralentis notre soucoupe pour opérer une immersion. Le système magnétohydrodynamique du vaisseau repoussa le liquide et nous pénétrâmes sans onde de choc dans l'océan. Mieux protégés d'un éventuel repérage, nous flous enfoncions dans les lointaines profondeurs marines vers l'aplomb de la côte sud de l'unique continent qui ceinturait ma planète. La faune et la flore de nos mers formaient une population beaucoup moins dense et spectaculaire que sur la Terre. Nous croisâmes cependant un large banc d'une des rares espèces pisciformes qui projeta sur notre écran de vision directe des reflets jaspés, seuls quelques phylums de planctons constituaient le reste de toute la vie aquatique.

Nous progressions maintenant dans une opacité ténébreuse car je m'abstenais, par sécurité, d'allumer les projecteurs du vaisseau. Le relief sous-marin traversé se dessinait dans la sphère de contrôle et l'ordinateur du bord nous avertit de l'approche de la côte. J'immobilisais notre vaisseau sur une plaque de fond en prenant soin de l'arrimer avec de simples filins fibreux projetés mécaniquement. Je fis signe à Jacqueline de se lever. Le système de propulsion de notre engin s'arrêta et nous échangeâmes nos combinaisons spatiales pour les scaphandres de sortie en milieu non viable. Je verrouillais de l'intérieur ce conteneur à scaphandres dans lequel nous nous trouvions et j'actionnais le système d'expulsion. Le plancher de la petite pièce cylindrique se souleva doucement et la porte du sas s'ouvrit au-dessus de nos têtes nous libérant dans les eaux sombres de l'océan Lémurie. Point ne fut nécessaire d'expliquer à Jacqueline le fonctionnement du scaphandre. Comme elle connaissait les équations de ma théorie du feuillet synthétique, elle sut actionner le système qui transformait les molécules d'eau de mer en oxygène que nous respirions et en hydrogène qui alimentait le micro-réacteur qui nous propulsait à la surface. Environ 1 U. plus tard, nous émergions sur une longue plage de granit turquoise de cette région de Drhyz 08.

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6.2 Ruse de Drhyz

Il ne fallait pas tramer parce que, même si peu de monde peuplait cette zone, nous offrions une proie découverte, et le binôme d'étoiles qui accompagnait notre système astral projetait une lumière d'intensité régulière et permanente. Nous nous réfugiames dans une petite grotte naturelle que le détecteur de relief du scaphandre signala. Soulagés de nous débarrasser de l'encombrante carcasse, nous nous régalions en respirant l'air fortement ionisé de ma planète. Une odeur semblable à celle du varech terrestre flottait dans l'air et rappelait avec insistance que l'heure du dernier repas commençait à dater. La cité la plus proche demandait environ deux U. de marche et nous n'avions ni vêtements civils ni crédits de consommation. Pieds nus et habillés de nos seuls collants de navigation, nous nous dirigions vers la première zone de végétation qui préfigurait la civilisation. Soudain, une bouée de surveillance pointa à l'horizon provoquant une course effrénée pour nous cacher sous les pétales d'une grosse fleur rouge, malheureusement non comestible, appelée " glabon " Le danger s'éloigna bientôt et reprenant notre chemin, j'appréciais les végétaux qui nous entouraient et qui avaient contribué aux joies de ma jeunesse. Au fur et à mesure que nous avancions, je me réhabituais à ma planète au point d'oublier l'extravagante aventure que je vivais. Jacqueline qui m'emboîtait le pas, ne tarda cependant pas à me ramener à mon douloureux destin en m'interpellant :

-" Prends ton courage à pleines mains, Kuhing, 5.000 nouvelles âmes attendent à la porte."

Je me retournais malgré moi, et je reçus à nouveau la maudite décharge. Je m'écroulais encore sous la souffrance et, lorsque Jacqueline me leva, je faillis entrevoir un sentiment nouveau pour moi que les Terriens appellent : la haine. La jeune femme parut le comprendre en observant mes yeux et dit gravement :

-"Prends garde, Kuhing, ce sentiment là, tu dois le détruire, pas l'apprivoiser" Nous réprimes notre chemin, et, bientôt les premières habitations apparurent entre les lianes. La ville côtière de Kandou s'étendait entre deux collines recouvertes de ce lichen bleuté qui tapissait la majeure partie de cette planète et lui donnait sa couleur caractéristique. Nous devions maintenant atteindre Kandou sans éveiller le moindre soupçon sous peine de nous faire ramasser par les équipes de surveillance et de finir rapidement dans la salle du conseil du Grand Magellan. Mon intention était bien de retourner voir ceux qui m'avaient expulsé mais, cette fois, je déciderais de la date du rendez-vous. Il me vint alors une idée qui nous permettrait de passer facilement inaperçus, et jouant avec le paradoxe, nous nous rendîmes le moins discret possible. Je coupais quatre pétales d'un des glabons qui nous entouraient ainsi que deux longues tiges d'une plante graminée qui ne donnait, elle aussi, que des fruits indigestes. Jacqueline compris immédiatement le stratagème et s'habilla de deux pétales carmin qu'elle noua avec la ceinture végétale. Je I' imitais et nous rejoignîmes, à ciel ouvert, la piste granitiques qui menait à Kandou. Une bouée de transport individuelle nous remarqua et modifia sa trajectoire pour s1approcher. A peine inquiet, j'attendais de voir si ma ruse prendrait. Le véhicule volant s'immobilisa juste au-dessus de nous, et un jeune Drhyz accompagné de son père sortit sa tête par le hublot latéral pour nous observer longuement. Puis soudain, il s'esclaffa et nous envoya un signe joyeux en agitant son avant-bras. Son père le suivit en riant; la partie était presque gagnée. Nous rendîmes les saluts aux deux kandiens tandis que je murmurais à l'oreille de Jacqueline :

-"J'espère que tu t'es intéressée également à la musique pendant tes études artistiques sur la Terre."

La jeune femme acquiesça d'un sourire et dit :

-"Le seul ennui est que ma voix sonnait bien plus harmonieusement avant que je te rencontre."

Nous marchions maintenant dans nos accoutrements à travers les rues de Kandou, et je criais à tue-tête :

-"Venez admirer sur l'esplanade de rencontre les élèves artistes chanteurs de l'agglomération de Ghya, spécialement de passage pour vos petits enfants."

Les fenêtres des habitations Drhyziennes se déopacifiaient à mesure que nous avancions et déjà une bonne dizaine de petits Drhyz nous suivaient en gloussant - jamais camouflage ne fut plus voyant.

Un bel auditoire de joyeux Drhyz se déplaça et nous écouta chanter sur l'esplanade centrale de Kandou. Notre prestation ne méritait pas une inscription dans les annales des œuvres lyriques mais elle plut beaucoup aux petits qui n'étaient pas habitués à ce genre de spectacle. J'articulais les paroles d'un conte improvisé et Jacqueline les agrémentait de vocalises. Cette ruse permit une réintégration en beauté dans cette société à tel point, qu'à notre grande joie, le comité des enseignants organisa un repas avec les jeunes enfants. Nous nous goinfrâmes de plancton lyophilisé et de sirop de coléoptile avant d'expliquer qu'il nous fallait maintenant reprendre notre tournée pour réussir nos examens d'artistes chanteurs.

-"Mais vous marchez à pieds, sans nourriture ?" S'étonna un enfant.

Je répondis dare-dare qu'il s'agissait d'une clause spéciale pour l'obtention du diplôme car, si notre spectacle plaisait, un banquet comme celui-ci devait être offert systématiquement.

Nous primes congé de nos hôtes en pensant que nous ne répéterions pas pour autant l'expérience de si tôt.

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6.3 Home sweet home.

Pour poursuivre notre route vers Ghya, je devais absolument obtenir des crédits de consommation, afin de changer de vêtements et de nous procurer un véhicule volant. Je pénétrais dans cette espèce de guérite jaune qui abritait un terminal public de l'ordinateur central, et je tapais sur son clavier :

"Besoin urgent de crédits de consommation."

L'ordinateur inscrivit sur l'écran :

"Prière de décliner le code d'identité."

Bien sur, il fallait croire au miracle pour que l'ordinateur central distribue anonymement des crédits de consommation, et je ne croyais plus au miracle depuis quelques centaines d'U. ! Je tentais un subterfuge en inscrivant le nom et le code d'identification de mon père mais la machine répondit :

"Code d'identification erroné, Drhyz décédé. Formuler à nouveau, SVP."

Comment pouvais-je tromper ce maudit computer ? je risquais le tout pour le tout en indiquant mes propres coordonnées et la machine répéta :

"Code d'identification erroné, Drhyz décédé. Formuler à nouveau, SVP."

Je ne pus réfréner un hochement de tête de dépit. Le Grand Magellan et son conseil m'avaient déjà bel et bien rayé des listes. Une étincelle Jaillit alors de mon esprit et, tandis que le terminal exigeait encore la déclinaison d'une identité, je tapais sur les touches:

" Grand Magellan."

L'ordinateur hésita en inscrivant une série d'expressions algébriques. Puis, il se calma et annonça :

" Honoré de te servir. Code numérique à préciser."

Du tac au tac, j'inscrivais la première équation de ma théorie du feuillet synthétique. L'ordinateur tarda encore, mais en silence cette fois, et répondit :

" Problématique de Dieu. Impossible d'analyser les éléments présentés. S'en remet à la décision du Grand Magellan."

Je sentais que j'allais bientôt berner cette stupide calculette, et je lui envoyais :

" Décision du Grand Magellan immédiatement applicable : distribution immédiate à la borne Kandou-48 de 5.000 crédits de consommation."

Le terminal obéit immédiatement. Nous rejoignîmes, enfin riches, un point de distribution de quartier où je pus choisir une tenue anonyme. Jacqueline, qui avait gardé un certain goût féminin, introduisit un double crédit dans le décodeur. La porte transparente du serveur s'ouvrit pour lui offrir une superbe création d'un styliste en vogue nommé Pocarabone. Puis nous embarquames sur une bouée collective vers l'unité productrice de véhicules. Pour 400 valeurs, nous repartions dans une belle biplace neuve.

Nous survolions à basse altitude et petite vitesse les reliefs doucement vallonnés de l'hémisphère sud qui représentaient toute l'orographie Drhyzienne. Ces étendues bleuâtres s'agrémentaient parfois des touches chatoyantes des cités accrochées aux courbes argentées des rivières. Après 6 U. d'un voyage quasi touristique, nous aperçûmes la grande agglomération de Ghya avec sa nuée de bouées de transport qui s'agitaient comme les électrons d'une gigantesque molécule.

-" C'est donc là que tu habites ?" Demanda Jacqueline presque rieuse.

Nous descendîmes encore et Je pointais mon doigt en direction d'un large dôme fait du même granit turquoise que celui de la plage de Kandou :

-" Mon immeuble est à quelques rues du palais du Grand Magellan que tu vols là." Nous posâmes la bouée de transport sur le toit de mon habitation. Comme dans toutes les mégalopoles Drhyziennes, les immeubles se présentaient comme de larges cylindres d'améthyste opaque qui s'élevaient sur quatre ou cinq niveaux. Les architectes urbains avaient conçu, pour casser la monotonie de ces structures épineuses, des monuments collectifs aux géométries plus variées.

Nous pénétrâmes dans le sas d'entrée pour descendre les escaliers. Je retrouvais mon bureau où des notes manuscrites traînaient encore - la technologie la plus fine ne pouvait se substituer complètement, en dernière analyse, à l'écriture directe avec un stylographe sur un support de papier. Jacqueline qui découvrait les lieux lança :

-" Oh ! , C'est à peine plus confortable que mon studio de l'avenue Borriglionne."

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6.4 Danger mortel

L'atmosphère de ma demeure n'avait pas changé. Je m'étonnais même qu'aucune perquisition n'y ait été ordonnée. J'installais mon hôtesse forcée au premier niveau, doté d'une vaste salle de repos et d'une pièce d'hygiène. J'occuperais, pour ma part, le quatrième étage aménagé de façon identique. Le bureau et la piscine ne seraient pas une trop large séparation entre Jacqueline et moi, pensais-je. Je me résignais cependant à accepter une disponibilité permanente pour purger l'horrible peine qui m'était assignée. De toutes façons, avais-je un autre choix à ma disposition ? Cette question commença alors à germer dans mon esprit. Nous étions fatigués tous les deux et Jacqueline m'informa d'un répit durable ; elle sentait peu d'âmes qui lui parvenaient. Sans doute, sur sa planète Terre, la bataille s'annonçait plus difficile que prévue pour l'armée de l'Unification. Elle partit rejoindre son lit et j'en fis de même. Je m'allongeais sur mon matelas d'hélium, tâchant de chercher un sommeil que, malgré l'épuisement, je n'arrivais pas à trouver. J'eus envie de me changer les idées. J'articulais simplement deux sons spécifiques et l'image holographique de deux équipes de scok, un jeu de ballon connu de nombreuses civilisations, se forma juste au-dessus de mon lit. J'avais beaucoup de mal à m'intéresser à la partie et je décidais de participer au match pour concentrer mon attention. Un des joueurs abandonnait justement la manche et je fis fonctionner le grand-angle. Le terrain virtuel s'étendît sur tout l'étage et un équipier me lançait déjà la balle. J'échangeais quelques passes avec des petits écarts digitaux mais rien n'y fit. Aucune activité ludique ne parvenait à gommer cette idée fixe qui tournait dans ma tête en posant sans cesse la même question:

-" Comment se débarrasser de cette épreuve que je dois subir ?"

Le souvenir de la terrible souffrance me convainquit que je ne pourrais plus en supporter davantage. Je débranchais d'un mot le générateur d'images et, comme un toxicomane cherche désespérément sa drogue, je voulais trouver un moyen de stopper les atroces douleurs qui m'attendaient. Ni ma théorie, ni le Big-bang de l'Unification, ni Dieu lui-même ne semblaient assez forts pour ôter cet objectif de mon crâne de mortel. Je regardais effrayé cette porte d'étage que Jacqueline pouvait franchir à tout moment pour me terrasser de ses affreuses vibrations. Je réfléchissais aussi à sa récente mise en garde. Pourtant, je sentais la haine m'envahir et monter doucement en moi pour me nouer l'estomac et me serrer la gorge. J'essayais de lutter contre ces pulsions que je savais mauvaises mais j'étais impuissant face à elles. Soudain, je pris cette décision irréversible :

Je serais le premier Drhyz à assassiner de mes mains un autre être pensant. Je bondis du matelas suspendu et sans bruit je descendis dans mon bureau, au deuxième niveau. J'allumais le tableau électronique mural sur lequel j'avais passé tant de temps et j'y inscrivais, dans un sursaut de morale Drhyzienne, ce dernier défi que je me lançais :

" Kuhing, es-tu donc incapable de trouver une autre solution que ce crime digne d'un des hommes les plus mal conçus ?"

Je restais près de trois U. devant cette question qui me dépassait et, pour la deuxième fois de ma vie, des larmes qui naissaient du plus profond de moi-même montèrent dans mes yeux. Mais les violentes pulsions de haine destructrice reprirent le dessus.

Non, Kuhing n'était plus apte à trouver une solution autre que celle-ci. Dans un éclair, Je vis ce stylographe à la plume de platine affinée corne un rasoir, posé prés de mes notes éparses et je le saisis comme une dague. Je descendis, retenant mon souffle, les marches de l'escalier qui menait à la chambre de Jacqueline. Je poussais la porte, la jeune mutante dévêtue dormait profondément. Ses sourcils à peine visibles se fronçaient comme si, elle aussi, subissait jusque dans son sommeil un châtiment sévère. Cette expression qui marquait son visage m'émut étrangement mats la haine balaya encore ces états d'âmes : je sectionnerais d'un coup bref la carotide de l'ex jeune femme. Alors, se boucherait enfin le canal de mes souffrances. Dieu, quant à lui, n'aurait pas mis au point tout ce mécanisme aussi compliqué s'il avait pu agir directement, et de toutes façons, peu importait, aucun châtiment ne surpasserait le calvaire des âmes à purifier. J'approchais la plume tranchante de la gorge de Jacqueline ; j'armais mon bras déterminé. Soudain, la jeune femme ouvrit ses yeux violets qui me glacèrent.

" Kuhing, dit-elle, tu connais maintenant vraiment le mal qu'il faut anéantir."

Terrassé par son regard plein de mansuétude, je laissais tomber mon arme.

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6.5 Echange

L'épreuve avait donc pour but de me donner l'expérience vécue la compréhension parfaite de ce que ressentait un être pensant décidé à en assassiner un autre. Le Créateur que je croyais incapable d'intervenir directement, orchestrait parfaitement la situation, et je ne supporterais donc pas plus longtemps ce que Jésus avait subi en son temps. Je suivais d'ailleurs un chemin complètement opposé au sien : Dieu l'avait rappelé dans son royaume et contrairement aux croyances adventistes d'humains, il y resterait. Quant à moi, Je m'étais rematérialisé en simple mortel dépourvu de tout pouvoir divin, doté cependant du souvenir de ce que j'avais vécu. L'aboutissement au Projet Final ne pouvait que provenir de la matière retournant par elle-même à sa source, le reste n'était que stratégie. Ma tâche, ici, consistait à convaincre, avec succès cette fois, du bien fondé la théorie du feuillet synthétique pendant que l'armée de l'unification indiquait aux hommes, par ses propres moyens, le chemin à suivre. Alors, s'opérerait, à travers le pluri-cosmos, l'union du raisonnement le plus élaboré avec les spiritualités les plus avancées pour que l'unification se réalise. Fort de mon expérience de cette cruauté spécifique que connaissent les hommes de la Terre, je possédais toutes les données théoriques pour affronter le Grand Magellan.

L'édifice où siégeait le conseil du Grand Magellan se trouvait à quelques blocs d'ici. Le gros problème à résoudre concernait le système de sécurité d'accès au palais, bien plus perfectionné que ce terminal de l'ordinateur central, peu habitué à la fraude. Avant de sortir, Jacqueline et moi, qui revenait seulement de mes émotions, montâmes au cinquième niveau pour nous restaurer. La réserve de plancton lyophilisé était à peine entamée et à la première bouchée, les lèvres de la Jeune femme dessinèrent une moue de mécontentement. Elle lança en riant, dans un relent d'humour Terrien caractéristique :

-"Pour moi, ce sera des crevettes au gingembre avec un bol de riz. Ensuite, j'hésite entre des kumquats confits et des lechees au sirop."

Je fis l'effort du sourire attendu avant de décrire à Jacqueline le système de sécurité infaillible qui contrôlait les entrées du palais du Grand Magellan : un capteur prélevait une goutte de sang de chaque visiteur et en établissait instantanément le code génétique. La porte se barrait devant quelques rares indésirables répertoriés et, bien sûr, je faisais partie du nombre.

-"Effectivement, dit-elle, à moins de changer tout ton sang, je ne vois pas comment tu pourrais pénétrer dans l'enceinte magellaire."

Jacqueline ne pensa pas tout de suite que je la prendrais au mot : elle venait de trouver la solution de l'énigme. Maintenant, nous n'étions plus à un tel détail près et j'allais utiliser les quelques notions de chirurgie que j'avais acquises durant mon jeune âge. Nous descendîmes au troisième niveau et nous nous allongeâmes cote à cote dans le bloc de soins attenant à la piscine. Par simples cathétérismes croisés, nous échangeâmes peu à peu nos deux volumes sanguins.

-" Nous voilà encore un peu plus liés, dit la Jeune femme, l'opération terminée. Nous nous habillames pour nous rendre vers le palais. Bien que les Drhyz portassent peu d'attention aux physionomies de chacun, Je masquais mon visage d'une visière anti luminosité, et j'offris à Jacqueline un de mes couvre-chefs du même couturier Pocarabone qui s'accordait fort bien avec sa tenue. Nous sortîmes à pied dans la rue où des enfants se promenaient sur leurs patins à coussins d ' hélium allégé. Nous marchions sur le soi de granit poli et, au coin d'une rue, le palais apparut comme une excroissance de la route elle-même.

Le bâtiment se dressait majestueusement bien au-dessus des immeubles voisins. Proche de l'entrée, je fis signe à ma compagne de continuer son chemin car c'est elle qui déclencherait maintenant le signal d'alarme en m'accompagnant.

-" Environ deux unités devraient suffire. " Lui murmurais-je à l'oreille.

Je fis quelques pas dans le couloir. Un portail massif s'abaissa soudain et une voix de synthèse résonna:

-" Bienvenue, frère Drhyz, tu dois franchir le système de contrôle avant de pénétrer dans l'enceinte du palais.

J'insérais un de mes doigts dans le capteur et une petite piqûre ponctionna une goutte de mon sang. L'analyseur constata que ce code génétique ne correspondait pas à un de ceux qu'il avait en mémoire sans se rendre compte qu'il appartenait à une autre espèce vivante. Les machines restaient des machines et la porte s'ouvrit. J'entrais dans le somptueux hall nu, orné seulement de blocs massifs d'aventurine ciselée et je me dirigeais directement vers la salie du conseil. Sur son fronton s'inscrivait:

" DRHYZ - CIVILISATION PREMIERE."

Je fus étonné de voir le sas s'ouvrir dès mon approche. La salle était obscure et vide. Soudain, je sentis une présence derrière moi ; Je me retournais et je vis le Grand Magellan dans sa tenue d'apparat, qui me fixait droit dans les yeux.

-" Salut à toi, Kuhing, dit-il, te voilà donc de retour parmi nous ?

Ma surprise fut si grande que Je n'arrivais plus à trouver mes mots ; je dus attendre presque qu'une unité avant de demander enfin :

-" Mais, tu m'attendais ?

-" Comment l'as - tu deviné ?" Lança le premier des Drhyz dans un sourire entendu.

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6.6 Dernier jugement.

Il me semblait vraiment maintenant avoir servi, selon une expression que j'avais captée sur la planète Terre, de " dindon de la farce ". Dieu s'était donc servi de moi, Jacqueline m'avait berné et le Magellan et son conseil supérieur semblaient s'être, eux aussi, joué de moi. Il ne me restait plus qu'à attendre que je me trompe moi-même.

Le Magellan poursuivit par quelques explications qui calmèrent mon amour propre :

-" Garde la tête haute, Kuhing, car tu es dans la vérité et nous l'avions tous compris depuis le début. Ta théorie du feuillet synthétique a été vérifiée bien des fois par cette équipe de recherche à laquelle ton père avait appartenu dans le passé ; elle ne montrait aucune faille de raisonnement, nous savions que tu avais retrouvé la grande mécanique divine."

Cette déclaration fut tellement inattendue que je restais quelque temps sans voix.

-" Mais dans ce cas, pourquoi m'avoir expulsé ?" Demandais-je enfin.

Le Grand Magellan s'approcha encore de moi ; ses yeux brillaient maintenant de la bonté des justes et le patriarche répondit :

-,' C'était la loi. Ce que tu as accompli pendant ton voyage, et dont j'ignore par ailleurs la teneur, prouve la justesse de nos lois."

-" Mais mon retour camouflé sur Drhyz, nos chansons à Kandou, le test du sang que je viens de passer ? " Demandais-je.

Le représentant de mon espèce prit un ton compatissant, comme 51 la stupidité de Ha question effaçait la valeur de tous mes travaux théoriques précédents.

-" Voyons Kuhing, dit-il, prends-tu vraiment tes frères pour des imbéciles ?"

Je me sentis penaud comme un enfant que l'on vient de réprimander. Le Grand Magellan profita de cet instant de faiblesse pour obtenir de plus amples renseignements sur mon séjour dans le néant. Je racontais ma dématérialisation, l'apparition des quatre frères fils de Dieu, celle du Créateur lui-même. Le vieux Drhyz écoutait sans mot dire ni laisser transparaître sur son visage la moindre expression d'étonnement. J'eus soudain une hésitation. L'image de la valise vide me revînt en mémoire ; et Si l'on se jouait encore de moi ? Le Grand Magellan comprit mon interrogation et, pour mettre fin à mes doutes, il ajouta :

-" Poursuis ton histoire, Kuhing. Si j'avais réellement voulu te tromper, tu ne serais pas face-à-face, en ce moment, seul avec moi."

Le ton de sa phrase fut suffisamment convaincant pour que je continue. Je racontais ma mission sur Terre et là, l'ancien ne put masquer sa stupéfaction avec cette réflexion :

-" Dieu t'a envoyé chez ces barbares incultes ? Mais cette espèce là dévore son semblable, et elle ne se doute même pas qu'il existe d'autres feuillets d'univers que le sien."

Je surenchéris en me permettant enfin un sourire :

-" Il y a quelques D.M.U., ils pensaient même que le cosmos tout entier tournait autour de leur planète et ils appellent encore, Allègrement, un tunnel de basculement : Singularité."

-" Seule leur ignorance est singulière, et peut provoquer l 'hilarité, contra le vieux. Mais, celui qui t'accompagne ne vient-il pas de cette planète ?"

Je précisais les circonstances de la présence de Jacqueline et je mis en garde le Magellan contre toute attitude de mépris envers les humains. Je lui accordais que cette espèce présentait certes des défauts majeurs, mais elle offrait des nuances et des disparités et surtout, elle possédait un élément étranger pour nous que nous n'avions même jamais pu analyser : les hommes avaient une âme alors que nous détenions seulement l'intelligence. Seule l'union des deux, dans leur plus noble expression, pouvait conduire au Projet Final. Le Grand Magellan encaissa l'information qui portait un coup à son amour-propre de Drhyz Il demanda enfin, avec un reste de dépit :

-" Et que faut-il faire à présent ?"

-" Patienter." Dis-je.

Je n'imaginais pas que les événements se précipiteraient aussi vite.

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7.1 Canicule

Jacqueline arriva devant l'entrée du palais au moment marne où j'en sortais. Elle consulta le décompteur chronologique intégré à sa combinaison et me lança avec un balancement de tête admiratif :

-"Bravo pour l'exactitude, cela fait tout juste deux unités que je t'ai quiltté." Je lui racontais mon entrevue en tête-à-tête avec le Magellan, et elle commenta :

-" Bien, maintenant je peux peut-être récupérer mon sang."

Décidément, cet humour venu de la planète Terre m'échappait souvent. Elle reprit un ton sérieux et posa cette même dernière question que le Magellan. Je donnais une réponse Identique - que pouvions nous faire d'autre qu'attendre ?

Je proposais de prendre notre bouée de transport pour une promenade dans Ghya.

-" Tu veux me faire visiter la capitale ?" Demanda Jacqueline.

Cette fois-ci, je compris son allusion, et je ne pus retenir un éclat de rires. Quelques U. plus tard, nous décollions de la plate-forme du haut de mon habitation. La gigantesque agglomération, sous cet angle, ressemblait à une colonie de ces échinodermes terriens, nommés oursins, hérissés de piquants de cristal violet. De temps à autre, un bâtiment en forme d'étoile ou en demi-lune modifiait le décor. Je montrais à Jacqueline éblouie, le grand auditorium des vibrations musicales construit de ce métal jaune, l'or, très abondant dans le sous-sol de Drhyz 08. Puis nous passâmes au-dessus de la grande école d'arts scéniques et lyriques bâtie de marbre vert, une belle roche importée de Dhryz 02.

-" Vois-tu, lançais-je à Jacqueline, c'est là que nous poursuivons nos études d'artistes chanteurs ".

Je réussis, à mon tour, à la faire pouffer.

La visite de Ghya se poursuivait agréablement quand Jacqueline éprouva le besoin de dégrafer sa combinaison. Elle demanda 51 une telle chaleur amblante était habituelle. La température semblait effectivement monter un peu plus et j'attribuais ce phénomène au réchauffement boréal que notre planète connaissait depuis quelques D.MU . Je consultais le thermomètre du bord qui indiquait une température de 43~ en effet relativement élevée pour cette région. Quelques d.U. s'écoulèrent et le cadran Indiquait maintenant 43,4~. Je dus à mon tour ouvrir ma combinaison car la chaleur tournait à la canicule, Autour de nous, nous voyions les Drhyz verrouiller les hublots de leurs bouées de transport pour faire fonctionner les climatisations tandis que dans les rues les passants surpris se hâtaient de rentrer dans leurs immeubles pour trouver un peu de fraîcheur. Je levais la tête et je vis Wolf qui paraissait diffuser une luminosité plus appuyée et semblait même avoir légèrement augmenté de volume. Soudain, nos deux regards se croisèrent au marne instant où nous comprenions ce qui se passait et, invoquant un des premiers Magellan de notre civilisation, j'exprimais tout haut ce que nous redoutions déjà tout bas :

-" Par le Grand Kundalini, le Big-Crunch a déjà commencé !"

Je dirigeais notre bouée vers mon cylindre d'habitation et 1 U. plus tard, nous nous y posions. Nous descendîmes jusqu'au deuxième niveau et lorsque je franchis la porte de mon bureau nous fûmes face à face avec le Grand Magellan et les douze membres de son conseil supérieur. L'ancien parla immédiatement :

-" Kuhing, Peux-tu apporter une explication à ce qui est en train de se produire ? Comme tu le sais, jamais la température n'a dépassé 43~ sur Ghya et il fait actuellement..."

Le grand Magellan se retourna vers le premier conseiller qui se tenait en contact permanent avec le centre d'observation.

-" La température sur Ghya est actuellement de 43,572~ et elle ne cesse d'augmenter." Répondit le conseiller.

-" D'autre part, nos ingénieurs enregistrent un rapprochement de Wolf et Loan de 0,3%, et ce pourcentage est identique pour chaque planète du système Drhyz." Continua le Grand Magellan.

-" La mesure des variations spectrométriques enregistrées montre que le phénomène est généralisé à l'ensemble de notre feuillet d'univers." Ajouta le conseiller.

Je regardais cette assemblée qui refusait de vouloir comprendre ce qui se produisait et m'adressant au Grand Magellan, je l'aidais à admettre la réalité :

-" Mes frères Drhyz sont-ils suffisamment imbéciles pour qu'à partir des éléments présentés, ils ne puissent en déduire la mise en branle du processus de contraction de notre feuillet d'univers 9"

-" Big-Crunch ?" Lança le représentant des zones extrême-orientales Drhyz.

-" Ca lui ressemble, répondis-je. Notre univers est entré en phase de contraction."

Les membres du conseil supérieur ne disaient plus un mot. Chacun se regardait et constatait, pour une rare occasion, l'impuissance de notre civilisation devant les faits. Le Grand Magellan rompit le silence :

-" Kuhing, tu connais ma position sur la validité de ta théorie et sur l'estime que je te porte. Mais je me trouve pris maintenant dans le terrible étau de la contradiction. Ta théorie du feuillet synthétique parait irréfutable mais doit - elle aboutir à la destruction de notre civilisation ? J'avoue mon incapacité à trancher une fois de plus devant la complexité du problème et, maintenant, ma seule décision possible est de m'en remettre à toi."

Le silence s'installa à nouveau dans la salle et le premier conseiller fit signe aux autres de prendre congé. Tous passèrent devant Jacqueline et moi sans lever les yeux mais, juste avant de sortir, Mioxe, le représentant des zones extrême-orientales du réseau de planètes Drhyz, se retourna en hurlant d'une voix qui me parut étrange

-" Vous êtes fautifs, ce barbare et toi. Kuhing, tu dois réparer !"

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7.2 Panique.

Nous nous regardâmes, Jacqueline et moi, dans le bureau déserté. Je portais maintenant toute la responsabilité de ce qui suivrait. Je pensais au milliard de Drhyz qui avaient choisi le suicide, temps téta3, après un autre dilemme d'ordre mystique. Mais cette fois-ci, il s'agissait de la destruction de toute mon espèce et sans doute de tous les feuillets d'univers. Sous le poids d'une telle décision à prendre, je m'affaissais sur un des coussins à l'hélium allégé qui flottaient autour de mon bureau. Je prononçais les deux sons de déclenchement du générateur d'hologrammes, et l'image d'un Drhyz se forma au milieu de la pièce.

-" Frères, dit - il, un événement de la plus haute importance est en train de se produire. Vous avez constaté un réchauffement de l'atmosphère de toutes les planètes de notre réseau. Il semble provenir d'une perturbation passagère de notre région cosmique. La température devrait se stabiliser d'ici quelques U. Le conseil supérieur demande à chacun de garder son calme. En attendant, rejoignez vos demeures et faites fonctionner les systèmes de régulation thermique. Tous les pilotes actuellement en mission infra galactique doivent rester en vol jusqu'à nouvel avis."

Je changeais de canaux de diffusion et le même message passait partout. Seule la fréquence ludique continuait ses programmes mais le terrain de scok était vide. Je coupais le générateur d'images et m'approchais de la paroi de ce niveau de mon habitation. D'un effleurement, je la déopacifiais. Plus aucun enfant ne jouait dans la rue, et les végétaux d'ornement commençaient à perdre leurs feuilles jaunies. Dans le ciel, Wolf paraissait s'être encore rapprochée, et la lumière devenait éblouissante. Jacqueline ne demanda ce que j'avais l'intention de faire, mais je n'avais toujours rien décidé. La seule chose certaine était que le temps s'écoulait et que la température montait. A l'extérieur, il faisait 45~ et j 'entrepris un rapide calcul. Je réunis les mesures des derniers écarts de progression de chaleur que j'associais à la limite d'expansion cosmique et à la masse de notre feuillet d'univers. Quelques centaines d'équations plus tard, j'aboutissais au résultat suivant : Le Big-Crunch qui engendrerait sans doute à son tour le Big-bang de l ' unification aurait lieu dans 203 unités. Mais le mécanisme enclenché ne suivrait pas forcément une courbe régulière ; il restait dépendant de la progression des spiritualités d'origine humaine et du libre-arbitre des consciences Drhyz qui, corne la source divine me l'avait rappelé, redoutaient l'issue du Projet. Je me souvins alors que, malgré mon expérience, je restais moi-même un simple Drhyz.

Jacqueline, elle, s'était assise, muette depuis ses dernières paroles. 203 unités représentaient une période tellement brève et si longue à la fois! Je m'approchais à nouveau des murs unidirectionnellement transparents de mon immeuble quand soudain, je vis un Drhyz sortir d'un bâtiment voisin malgré les consignes qui résonnaient maintenant dans toutes les rues. La chaleur était suffocante mais le Drhyz hurlait cependant à tue-tête :

-" N'écoutez pas ces haut-parleurs, frères, Sortez de chez vous puisque Dieu nous rappelle à lui."

Cela me rappelait la précédente vague de suicides collectifs telle qu'elle nous avait été rapportée et bientôt, des Drhyz ouvraient les portes de leurs immeubles, envahissant les rues brûlantes. La panique commençait à gagner l'ensemble de Ghya, et j'imaginais que les cités des autres planètes n'étaient pas épargnées. Je devais maintenant agir vite car bientôt le chaos m'en empêcherait. J'appelais le Grand Magellan pour lui demander une nouvelle entrevue, Jacqueline attendrait ici. Le vieux sage me proposa de nous rencontrer directement dans le laboratoire d'étude et de recherche car, si nous devions prendre une décision, nous aurions besoin de toutes nos techniques disponibles. Je montais sur le toit de l'immeuble pour embarquer dans la bouée de transport et dès que la porte du dernier niveau s'ouvrit, l'air chaud envahit le sas provoquant la sudation immédiate de tout mon corps. Je me hâtais de fermer les hublots du véhicule et de mettre en route la régulation thermique. Je décollais bien vite et je constatais l'effervescence qui animait les rues. Des Drhyz couraient dans tous les sens, sans but apparent, complètement affolés par ce qu'ils commençaient à comprendre. D'autres choisissaient de s'immoler par le feu. La température semblait cependant se stabiliser puisque le thermomètre indiquait à l'extérieur : 45,l~. Peu de temps après, j'atterris sur le toit de l'institut central d'étude et de recherche. Avant d'y pénétrer, j'affrontais encore l'atmosphère suffocante qui me mît immédiatement en nage. Je descendis dans la salle de conférence ou je trouvais le Grand Magellan. Le vieux leva les yeux vers moi et déclara solennellement :

-"Tu es toi-même témoin de la panique de beaucoup de nos semblables. S'il s'agit d'un retour à Dieu, permets-moi de penser qu'il aurait pu l'organiser plus é1égament. Kuhing, laisseras-tu rôtir tes frères sans intervenir ? Notre vieille civilisation Drhyz mérite-t-elle, au bout de son chemin, les jardins de l'Eden que nous achevons de bâtir ou les flammes d'un enfer imposé ? Ce Dieu est injuste."

Le Grand Magellan fit un geste de la main en signe de dédain et il me tourna le dos, estimant que tout était dit. Je devais maintenant trancher mais ma pr6sence en ces lieux préfigurait de ma décision. Non, je ne pouvais pas laisser brûler mes semblables et leurs enfants, et je ferais tout ce qu'il était en mon pouvoir pour stopper ce Big-Crunch, même au risque de déplaire à Dieu.

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7.3 Riposte.

En prenant cette décision, un premier pas vers la résolution de cet objectif était déjà franchi ; il fallait vite trouver le moyen d'arrêter la contraction de notre feuillet. Nous descendîmes, le Grand Magellan et moi, dans la salle des observations. Trois frères ingénieurs consultaient une multitude de sphères de contrôle et interrogeaient sans cesse les ordinateurs neuronaux. Tous étaient tellement pris par leurs calculs que notre arrivée passa inaperçue. Je m'approchais de l'un d'eux et m'adressais à lui :

-" Peux-tu me dire Si le phénomène est généralisé à tous les feuillets d'univers ou s'il est circonscrit à l'angle 24 ?"

Un des frères scientifiques sortit la tête de ses écrans et me reconnut aussitôt.

-"Mais n'es-tu pas Kuhing ? " S'étonna-t-il.

-" Nous te donnerons de plus amples explications plus tard, frère, dit le Magellan. Pour l'instant, nous devons agir rapidement."

L'ingénieur se fixa à nouveau devant ses écrans tactiles et retourna à mon interrogation en hochant dubitativement la tête :

-" Impossible de répondre à cette question pour l'instant. Vous savez comme moi que nous ne pouvons pas communiquer d'ici avec les soucoupes en mission supra-galactique, et les ordinateurs n'ont pas encore résolu les calculs correspondants."

-" Quand donneront-ils une réponse ?" Demanda le Grand Magellan.

-" Pas avant une cinquantaine d'unités mais d'ici là, l'information ne nous intéressera plus, nous serons plus brûlants qu'elle." Fit-il d'un air résigné. Je demandais aussi où se situaient ses prévisions quant à la durée du phénomène. L'ingénieur annonça sa première estimation calculée depuis environ deux unités.

Le Big-Crunch aurait lieu dans 147 U. Je fis tout de suite part de ma surprise puisque je venais d'aboutir, presque au même moment, à un résultat de 203 U., en incluant, bien évidemment, les coefficients de contraction espace-temps. Devant un tel écart, nous entreprîmes de refaire, avec les deux autres ingénieurs qui

nous avaient rejoints, une autre estimation temporelle. Les trente ordinateurs engloutissaient les données avec voracité et, après une unité d'une d'intense activité, le résultat tomba :

" Big-Crunch dans 128 U.".

Nos regards n'osèrent pas se croiser tant la surprise fut grande. Nous ne nous trompions pourtant pas souvent dans nos calculs ; je cherchais donc l'explication ailleurs puis, je saisis l'origine de nos erreurs. La contraction concernait l'espace, la matière et le temps donc nous-mêmes. Notre structure organique se resserrait aussi, modifiant avec elle la formation de nos idées. Même Si nous lisions x U. sur l'écran, nous comprenions y U. Je fis part aux autres de mon hypothèse et faute de pouvoir en opposer une nouvelle, ils durent l'admettre. Cette situation ne facilitait pas nos démarches d'autant plus que, si la transformation de mon idéation paraissait s'opérer en phase avec celle des autres, nous ne pouvions nous appuyer sur aucune garantie ni référence quant à la suite des événements. Je présentais cependant le plan de riposte qui mûrissait dans ma tête.

-" Nous devons d'abord nous assurer de l'étendue du phénomène. Je crois qu'il ne concerne que notre feuillet d'univers qui, une fois contracté, provoquera une réaction en chaîne entraînant les autres angulations. Il faut vérifier cela. Si je ne me trompe pas ; il semble théoriquement possible de contrebalancer cette contraction par le déclenchement d'un Big-bang qui engendrera un univers énantiomorphe, miroir, à la dimension 24. Par contre, Si le Big-Crunch est généralisé, rien ne sera possible pour des raisons que vous imaginez peut-être." Les trois ingénieurs m'écoutaient bouche bée. Le premier se décida enfin à oser une remarque:

-" Tu vas expérimenter ta fameuse théorie du feuillet synthétique ?

-" C'est vraiment l'occasion ou jamais. Dis-je. Je vais rejoindre la base de navigation supra-galactique pour vérifier l'état des autres univers. S'ils s'expandent encore, je mets mon plan en œuvre."

Nous nous rendîmes avec le grand Magellan dans l'entrepôt et je pris moi-même les outils nécessaires. Puis je remontais sur le toit pour embarquer dans la bouée de transport en direction de la base supra-galactique.

Les ingénieurs navigants étaient prévenus de mon arrivée, et une soucoupe m'attendait, prête au décollage. Je m'y installais sans tarder et je programmais sur l'ordinateur de bord la trajectoire géodésique du premier tunnel de basculement pour émerger ensuite dans le feuillet 28.

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7.4 Big-bang.

Je croisais déjà Loan et tout l'espace semblait mu par une intense activité. La sphère de contrôle indiquait l'entrée du tunnel de basculement et avant de m'y engouffrer, je pris contact avec le Grand Magellan qui se trouvait toujours avec l'équipe d'observation sur Drhyz 08.

-" Kuhing, de l'aérodyne supra-G/584, demande connexion avec Magellan." Dis-je.

L'image du représentant de mon espèce se forma alors juste en avant de moi.

" Peux-tu me renseigner sur l'évolution de la situation de nos planètes ?"

Le Grand Magellan répondit que le processus suivait son cours mais que la chaleur extérieure, bien que suffocante, n'atteignait pas encore le degré létal. Son inquiétude concernait les vagues de suicides collectifs constatés en particulier dans les grandes agglomérations. Des Drhyz par groupes de cinq, en général stimulés par un leader, s'aspergeaient de combustible et s'immolaient.

Ces manifestations se généralisaient maintenant à toutes les planètes du réseau. Quant au temps disponible, aucun chiffre ne pouvait être certain ; il changeait à chaque calcul. Le Magellan me souhaita de la chance et son image s'estompa. Le tunnel approchait. Je fus pris dans le gel puis dans tout le processus du basculement qui me fit perdre connaissance. Après une période que l'ordinateur de bord évalua à trois d u., je me réveillais dans l'angulation 28.

La dimension des Vossiens ne paraissait pas atteinte par le phénomène de contraction puisque la mesure de la dilatation de cet univers indiquait un coefficient positif. Devais-je me fier aux chiffres que je lisais ? De toutes façons, le temps manquait pour les vérifier. Je programmais une vitesse ultra-réduite et je fus bientôt libre de mouvement. Je plaçais le réflecteur à fusion mésonique associé au canon à nano-ondes pulsées dans la petite navette du bord; j'orientais le prisme de nitronium vers un angle symétrique à celui de la dimension 24 et je mis en marche le compte à rebours. Je glissais la navette dans le conteneur vidé de ses scaphandres et je synchronisais le système d'expulsion. Tout était prêt pour que le Big-bang contradictoire se déclenche, et je devais retourner maintenant dans le tunnel de basculement. Je me parais à nouveau de tout mon harnachement de vol et fis demi-tour. Je vivais peut-être mes derniers instants; si ma tentative aboutissait, je ne le constaterais qu'une fois revenu dans la dimension 24; sinon...

L'aérodyne prit une puissante accélération et le mouvement des particules m'accompagna dans le trou noir. Puis un trou noir s'installa également dans ma tête. Peu de temps après, j'eus la bonne surprise de reprendre conscience dans la dimension 24.

Je stabilisais mon engin et j'ouvris la porte du conteneur: la navette avait disparu. Tout était étonnement calme, et je pensais que si l'opération avait réussi, elle avait fait moins de bruit, au moins dans mon univers, que l'énoncé de ma théorie. Avant même de réaliser la moindre mesure, je tentais un contact avec Drhyz 08 :

-" Kuhing , de l'aérodyne supra-G/584, demande contact avec Magellan." Dis-je et je fus soulagé de voir apparaître son image.

-" Heureux de te retrouver, Magellan, J'ai accompli la mission mais je ne suis pas encore sûr de son succès, peux-tu m'informer de la situation sur le réseau Drhyz." Demandais-je.

Le Grand Magellan paraissait surpris de ma question mais je compris que son étonnement venait de plus loin encore lorsqu'il répondit:

-" Décline ton identité et ton origine, étranger."

Je répétais sans conviction mon nom et l'objet de ma mission mais je savais que cela ne servirait à rien. Les Drhyz, sous le choc de la contraction, avalent changé de système référentiel et je devenais étranger dans ma propre dimension. J'interrogeais mon ordinateur sur le Big-Crunch et les réponses, tant sur la température extérieure que sur le coefficient d'expansion, confirmaient la réussite de mon intervention. Il ne me restait plus qu'à rejoindre ma planète pour évaluer l'étendue des dégâts.

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7.5 Désastre.

J'orientais ma trajectoire vers Wolf et Loan et, environ quatre U. plus tard, j'atteignais le système Drhyz. Je plongeais dans l'atmosphère de ma planète et je survolais déjà son pôle nord où s'étendait l'autre océan. Le ciel se voilait d'une brume épaisse et l'ordinateur annonça une température extérieure de 86~.

Je descendis en altitude pour me placer en géostationnaire sous l'épais manteau de nuages, et je branchais l'écran de vision basse. J'assistais alors à un spectacle que je n'aurais même jamais pu imaginer : de gigantesques bulles remontaient des profondeurs de l'eau pour venir éclater à la surface : la masse entière de l'océan était simplement en ébullition. Des ouragans d'une violence inouïe, dus aux variations de pression atmosphérique accompagnaient cette vision d'apocalypse mais les vagues qui commençaient à peine à se former témoignaient de la jeunesse du phénomène. Ma soucoupe se tenait là, au milieu des éléments en furie qui me donnèrent l'envie soudaine de m'enfuir et, l'image nostalgique de gloussa charnus et de ganamous juteux traversa mes pensées. Je s'apercevais que, si j'étais parvenu à endiguer le Big-Crunch, le réchauffement de la planète 08 avait atteint un niveau suffisant pour anéantir toute vie marine, base de notre alimentation. Je restais là, dans une indécision totale, pendant près d'une U. à contempler cette scène aussi grandiose que terrifiante. Puis ma conscience, à moins que ce fut ma curiosité, l'emporta, et je mis le cap sur Ghya. Les vents violents balayaient la côte boréale et toute la végétation avait disparu. Le sol de Drhyz 08 avait troqué sa belle robe de mousse bleue pour un noir revêtement calciné et les rivières que je croisais fumaient d'une vapeur dense. J'approchais d'une agglomération, ses rues ne reflétaient que l'image de la désolation. Etais-je responsable de ce désastre ? Mieux valait-il ne pas y penser parce que quand je survolais Ghya, le tableau ne fut guère plus attrayant, empreint de tristesse et de mort. A cause de la taille de mon aérodyne, j'eus l'idée de me poser dans le stade réservé aux exhibitions sportives, et quand ma soucoupe toucha le sol, la température extérieure avait baissé à 6~.

J'enfilais un scaphandre et je me retrouvais au milieu de ces gradins déserts d'où se dégageait une atmosphère étrange. Après une manœuvre, le scaphandre me souleva légèrement me propulsant à petite allure dans les rues de Ghya. Je flottais silencieusement sur les avenues embrumées, et, pour la première fois, obscures. Les immeubles d'améthyste, pareils à des rescapés d'une armée de l'ombre, semblaient me lancer des regards inquiétants, et seul le sifflement du vent, qui avait conquis la ville, me demandait pourquoi je revenais sur ces lieux. Un frisson d'angoisse me traversa le corps, et je pensais à cette joyeuse fanfare du 18ème arrondissement de Paris pour me redonner un peu de cœur au ventre.

Je me dirigeais vers mon habitation quand, à l'angle d'une traverse, cinq carcasses de Drhyz brûlés, disposés en cercle, me ramenèrent à cette triste réalité que je vivais. Je regardais alentour en me demandant si, en ce moment même, des yeux de Drhyz m'observaient.

Cette interrogation m'incita à pousser la puissance des micro-réacteurs de mon scaphandre et moins d'une unité après, j'arrivais devant le sas d'entrée de mon immeuble. Je poussais la porte du premier niveau, un cadran confirmait que le système de régulation thermique fonctionnait, et je pus ôter mon équipement.

Le vaste hall était vide, mais deux scaphandres se trouvaient sur le sol ; j'avais eu de la visite. J'appelais Jacqueline mais personne ne répondit. Ce calme apparent ne me laissait présager rien de bon ; mais que pouvais-je faire d'autre qu'avancer ? Je montais les escaliers qui conduisaient à mon bureau, et j'en ouvris la porte, et là, je vis Jacqueline, les yeux hagards, au même endroit où je l'avais laissée.

Je sentis alors un net soulagement.

-" Jacqueline, dis-je, je suis Kuhing, me reconnais-tu ? Peux-tu me dire ce qui s'est passé ? "

La jeune femme leva des yeux vitreux sur moi sans répondre. Je m'approchais plus d'elle, et la secouais en lui prenant l'épaule, répétant :

-" Jacqueline, me reconnais-tu ? Je suis Kuhing, qu ' est-il arrivé ? "

La jeune femme me fixa intensément, et parut chercher dans le fond de sa mémoire puis elle se leva péniblement en me prenant la main.

Jacqueline, insistais-je sans lui opposer de résistance, peux-tu me dire ce qui s'est passé pendant mon absence ? Tu veux me montrer quelque chose ?"

La jeune femme acquiesça d'un sourire étrange et m'emmena dans les escaliers, vers le troisième niveau. Nous montâmes les marches, elle poussa la porte et une vision d'horreur me souleva le cœur : Un de mes semblables se tenait là, agenouillé, les yeux brillants, du sang autour de la bouche ; prés de lui, les restes du cadavre éventré d'un autre Drhyz qu'il venait de dévorer. Je dégageais ma main en reculant de terreur. Jacqueline se retourna vers moi et me dit, d'un ton monocorde et posé qui me rappelait ce redoutable sentiment de certitude :

-" L'armée de l'unification nous conduira vers le Projet Final.""

Puis elle se mît à rire à gorge déployée de ce ricanement que seuls les fous possèdent.

Le Drhyz mutant parut déconcerté par ma présence, et j'étais moi-même pétrifié de peur. Il se redressa soudain et fonça dans ma direction. Je n'eus pas le temps de penser au sort qui m'attendait qu'il me renversa à terre mais, au lieu de s'acharner sur moi, il dévala les escaliers et se précipita à l'extérieur de l'immeuble. Je me levais et je courus vers la paroi de l'étage. Je vis le Drhyz marcher quelques pas dans la rue puis, sous la chaleur intense, s'affaisser. J'assistais ensuite avec le plus profond dégout à la brève dessiccation de son corps.

Quelques D..U. après, seuls les restes épars de son cadavre fumant jonchaient le sol.

Mon plus cher désir eut été de me réveiller de ce cauchemar mais je sentis la présence de la jeune femme derrière moi, et je me retournais aussitôt. Jacqueline me regardait, un rictus accroché aux lèvres. L'expression de son visage était maintenant nettement marquée du sceau de la démence mais il ne me semblait cependant pas y discerner de pulsions agressives. Je la laissais s'approcher de moi, et elle répéta en écarquillant plus encore les yeux :

" Le Projet Final, le Projet Final."

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8.1 Guerre.

Je ne comprenais pas encore toutes les causes du désastre qui avait ravagé le réseau Drhyz mais Je pouvais déduire, après la scène à laquelle Je venais d'assister, qu'une spéciation s'était opérée chez mes semblables. Il existait désormais au moins deux souches différentes de Drhyz : les dévoreurs et les dévorés. Etait-ce la punition que Dieu infligeait pour avoir contrecarré ses plans, une mauvaise synchronisation de mon Big-bang ou s'agissait-il d'un nouveau faux pas hasardeux de la nature ? Je l'ignorais. Je savais juste que jamais je ne m'étais senti aussi seul et désemparé, et qu ' il me fallait réagir très vite pour reprendre le dessus. Je désagrégeais chimiquement le cadavre de ce malheureux Drhyz gisant non loin de moi et Je descendis dans mon bureau. Jacqueline redevenue muette, me suivit et reprit sa même place. Je pris le soin de bloquer toutes les issues et je m'assois pour faire le point. Soudain, une voix connue passa sur mon canal de communication :

-" Magellan demande contact urgent avec Traxog."

Je reconnus la voix du représentant Drhyz. Je commutais nos deux fréquences, et son image apparut devant moi. A l'arrière plan, je voyais le laboratoire de recherches et d'observations dans lequel nous nous trouvions avant mon départ.

-" Kuhing parle, dis-je. Grand Magellan, est-ce bien toi? Peux-tu m'informer de ce qui se passe exactement sur Drhyz 08 ?

Le Magellan reconnaissant ma voix, sembla surpris de l'entendre.

-" Kuhing ? " S'assura-t-il.

-" C'est bien moi, Kuhing, que se passe-t-il ici ?"

-" Ca ressemble à l'apocalypse, mais je pense que tu t'en es aperçu."

Je fus certes déçu par le peu d'éléments qu'apportait l ' ancien. J'insistais :

-" J'ai effectivement assisté à des scènes terribles, mais je n'ai pas réussi à comprendre vraiment le pourquoi de ces événements."

Le grand Magellan reprit le déroulement de ce qu'il avait vécu depuis ma sortie du laboratoire d'observations :

-" Après ton départ, la température a continué à monter jusqu'à atteindre l05~, et nos pensées se sont peu à peu figées comme si elles devenaient prisonnières dans nos cerveaux comprimés, c'est le dernier souvenir que je garde de cette phase. J'ai repris ma pleine conscience depuis très peu de temps."

-" Est-ce la raison pour laquelle tu ne m'as pas reconnu lors de mon dernier contact ?" Demandais-je.

-" Je ne me souviens pas du contact dont tu parles." Dit-il.

Les réponses du Grand Magellan me paraissaient vraiment laconiques par rapport aux informations que J'attendais ; je le relançais :

-" As-tu des éléments concernant la population Drhyz ?"

-" Rien de précis encore, mais nos ordinateurs ont enregistré une arrivée massive de soucoupes en provenance de la zone moyen-orientale du réseau Drhyz. Ces Drhyz ont débarqué sans avis ni protocole d'approche, et ils ont, semble-t-il, investi certains immeubles. Nous avons envoyé le frère ingénieur Traxog en reconnaissance dans ton secteur, mais aucune nouvelle ne nous est parvenue depuis."

-" Mais je n'ai remarqué aucune soucoupe posée aux alentours de Ghya" m'étonnais-je.

-" Toutes leurs soucoupes sont reparties, sans doute pour ramener des renforts, ils semblent vouloir assiéger la ville." Répondit le Magellan.

-" Peut-on estimer le nombre des envahisseurs présents sur 08 ?" Demandais-je.

-" Environ cinq mille, concentrés pour le moment sur Ghya. As-tu rencontré Traxog" répéta-t-il.

Je ne répondis pas immédiatement à cette question. Je m'interrogeais sur la raison d'une telle mutation des Drhyz des planètes moyen-orientales, et un éclair me fit tout comprendre. Je me souvins de cette minuscule étoile à neutrons puissamment radioactive, située aux abords de cette région. Inoffensive en temps normal, elle avait sans doute provoqué, sous la contraction, la mutation démoniaque des populations de cette zone J'informais le Grand Magellan de la trouvaille sordide faite dans mon immeuble, en me gardant bien d'insister sur le cas de la Terrienne. Le Grand Magellan accusa le coup sans sourciller ni trouver le moindre mot à dire. Je rompis le silence :

-" Les soucoupes provenaient de combien de planètes ? " Demandais-je.

-" Nos détecteurs en ont dénombré deux : il s'agit de Drhyz 74 et 87 répondit le vieux. Doit-on s'attendre, en quelque sorte, à rentrer en querelle avec elles ?" L'expression du Grand Magellan témoignait de la profonde ignorance des Drhyz en matière martiale. Je précisais :

-" La seule guerre meurtrière de notre histoire, Je le crains. Qu'en est-il du reste de la population non atteinte ?"

-" Elle semble reprendre conscience mais nous n'avons stocké que peu d'appels." Conclut le Magellan.

J'avertis que Je rejoindrais le laboratoire de recherche le plus tôt possible. Je coupais la liaison et m'apprêtais à sortir. La température extérieure s'élevait maintenant à 49~. Le retour à des normes habituelles avançait mais, dehors, la vapeur formait toujours le même voile épais. Plusieurs questions me trottaient dans la tête. Tout d'abord : pourquoi le Drhyz mutant trouvé chez moi, ne s'en était-il pas pris à Jacqueline qu'il avait rencontrée certainement d'abord sur son chemin ? Ensuite: pourquoi s'était-il enfui pour se suicider dès mon apparition ? Je levais les yeux vers Jacqueline qui avait retrouvé son air absent. Me cachait-elle quelque chose en feignant la folie ? Avait-elle une part de responsabilité dans cette tragique affaire? Je m'approchais d'elle et la secouais violemment.

-" Que sais-tu de ce qui arrive ? Pourquoi ce mutant ne t'a-t-il pas touchée alors qu'il n'a pas hésité à dévorer Traxog ? Parles ! " Hurlais-je.

La jeune femme sortit à peine de sa torpeur et répéta, mollement cette fois :

" Le Projet Final, le Projet Final."

Je la repoussais de dépit.

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8.2 L'arme.

Je repris mon équipement qui me propulsa à travers les rues délabrées de Ghya. Des ombres inquiétantes se dessinaient à travers le brouillard ; s'agissait-il de mutants ou de Drhyz de ma planète ? - je ne m'attardais pas pour le vérifier. Je déverrouillais le sas du bâtiment de recherche, et j'y laissais mon scaphandre. Je montais vers le niveau d'observation où je retrouvais le Magellan et les deux ingénieurs revenus devant les sphères de contrôle et les écrans de calcul. Les trois Drhyz me saluèrent chaleureusement, puis la gravité repris le dessus. Le Grand Magellan rappela le drame que constituaient les récents événements en insistant sur l'absence totale d'expériences guerrières de l'espèce Drhyz. Les ingénieurs firent part également de leur inquiétude face à cette agression et surtout sur notre capacité de réaction. Je tentais de les rassurer et proposais, pour le moment, de lancer un appel à l'ensemble des Drhyz de Ghya non touchés. Tous devaient bloquer les issues des habitations et surtout en refuser l'accès à quiconque. Les trois Drhyz approuvèrent et un ingénieur diffusa ce message vers toutes les planètes du réseau. Il nous fallait maintenant trouver un moyen de contrer ces envahisseurs sanguinaires. J'avais " heureusement " l'expérience théorique de cette agressivité meurtrière vécue plus t8t en compagnie de Jacqueline ; elle me servirait à organiser la contre-attaque. Un frère ingénieur nous appela près de la sphère centrale de contrôle dont le diamètre valait presque celui d'un vaisseau supra-galactique. L'ensemble du système astral Drhyz y était représenté en volumes de synthèse. J'observais nos deux étoiles Wolf et Loan qui avaient quasiment retrouvé leurs positions initiales mais le frère pointa son index vers les deux planètes des mutants. De chacune d'elles émanait une fine tramée de poussières scintillantes, qui se dispersait en une nébuleuse mouvante : leurs soucoupes revenaient vers Drhyz 08, et nous disposions de moins de trois U. avant leur arrivée. Il fallait agir vite. Inutile de compter sur la coopération de mes semblables qui, pour ne jamais avoir été attaqués, ne savaient pas se défendre. Je m'apprêtais donc à protéger mon camp en unique combattant sachant que la victoire ne pouvait être que purement stratégique.

Je fis le point de la situation : 5.000 mutants se disséminaient déjà dans Ghya et un puissant renfort arriverait d'ici peu. Les affronter un par un s'avérait impossible. Je devais les attirer dans un piège et les y enfermer ; mais il me fallait également une arme pour les détruire. De tout temps, l'intelligence et la technologie Drhyz avaient servi à des fins constructives ; aucun instrument n'était conçu pour tuer. Mais l'image de la plume de ce stylographe, que Je saisis pour trancher la gorge de Jacqueline, me revint à l'esprit. Je me souvins de ces pulsions de cruauté intense qui m'assaillaient. Je compris alors que l'instrument lui-même n'avait qu'une importance secondaire, seule la volonté destructrice de celui qui le tenait pouvait transformer un objet anodin en une arme redoutable.

Soudain une voix familière retentit dans tout le laboratoire et l'image de Mioxe apparut. Ses yeux brillaient de la même lueur destructrice qui animait ce autant rencontré dans mon immeuble.

-" Esclaves Drhyz, hurla-t-il, la nouvelle race des seigneurs vient de naître. Préparez-vous à vous soumettre à sa domination absolue. Obéissez à nos ordres ! Ceux qui oseront opposer la moindre résistance seront immédiatement dévorés vivants. Ouvrez les portes de vos immeubles pour laisser entrer vos maîtres."

La déclaration de Mioxe nous glaça les sangs. Le Grand Magellan confirma que le représentant des zones moyen-orientales avait rejoint sa planète d'origine juste après la visite chez moi du conseil supérieur. Il avait donc subi la terrible mutation, et décidé d'investir d'abord Drhyz 08 sans doute pour prendre possession du palais magellaire. Nous n'avions plus une fraction de temps à perdre. Je demandais aux ingénieurs de passer en revue la liste des outils dont ils se servaient pour leurs recherches. Sans comprendre, ils commencèrent :

Générateurs de particules, ordinateurs synaptiques, canons à micro-ondes, réflecteurs à réfraction antineutrinique, wyrtrons. J ' essayais d'adapter ces instruments à une utilisation guerrière mais, à cette étape, je n'y parvenais pas ; même le canon à micro-ondes ne pouvait pas servir de fusil. Les frères ingénieurs continuaient à énumérer les différentes machines utiles à notre science sans pouvoir saisir le but que je poursuivais - l'agressivité leur était vraiment trop étrangère. La liste se déroulait toujours : un réacteur a fission ou à fusion nucléaire, un qsuad qui servait à observer les mouvements atomiques, un cybernax utilisé pour coder les fractals, un traxinotron qui désorganisait les structures cristallines des matériaux lourds. Rien de tout cela ne faisait mon affaire mais le premier ingénieur cita enfin : " Générateur d'ondes gravitationnelles ", et le déclic s'opéra. Cette machine recréait les forces que les grosses masses de matières induisent, elle produisait ces ondes fondamentales de gravité qui me permettaient de rester collé au sol. Nos techniciens s'en servaient en général dans l'industrie lourde pour déplacer d'énormes masses rocheuses ou métalliques. Je me renseignais sur la disponibilité immédiate de cet engin, et un frère Ingénieur confirma que le laboratoire d'essais en possédait heureusement un. La nouvelle me ravit, et je voulus le voir sur-le-champ. Nous descendîmes au niveau inférieur. L'instrument s'y trouvait se présentant comme une grosse malle de métal dépoli. Je me renseignais sur ses capacités, et le frère ingénieur m'assura, qu'à pleine puissance, ce générateur de gravité pouvait déplacer plusieurs R.Gh. Je tenais mon arme, et je n'ai avais plus de temps à perdre. Par bonheur, l'engin, qui pesait au moins I Gh, avait son propre système de propulsion - Je me voyais mal le porter sous le bras. J'expliquais sommairement ma stratégie aux trois frères Drhyz qui eurent, bien sûr, beaucoup de mal à l'assimiler ; jamais ne leur serait venu à l'esprit d'utiliser cet outil à de telles fins dévastatrices Je saluais les deux frères ingénieurs et le Magellan, et peu de temps après, je flottais dans mon scaphandre en direction du stade d'exhibitions sportives. Le gros générateur d'ondes gravitationnelles me suivait sur son coussin de gaz propulseur, sagement et sans bruit. J'arrivais bientôt prés de ma soucoupe, et nous embarquâmes la machine et moi. Le décollage me souleva au-dessus de cette couche de vapeur qui recouvrait encore la surface de Drhyz 08, et je filais déjà dans la clarté retrouvée de nos deux étoiles redevenues enfin calmes. Je pilotais à vue depuis prés d'une U. Soudain, l'armée des soucoupes des mutants assombrit mon écran frontal. Je ne me souvenais pas avoir vu autant d'aérodynes en vol simultané ; j'interrogeais mon clavier et l'ordinateur de bord évalua leur nombre à 1.012. Les mutants m'avaient bien évidemment repéré, et j'attendais leur réaction en spéculant déjà sur ce qui se passerait. Nos soucoupes ne possédaient aucun équipement offensif. Je déviais de mon cap pour éviter la flotte invasive et, corne prévu, aucune soucoupe ne me prit en chasse les mutants avaient d'autres priorités. Je repris donc ma trajectoire vers la région moyen-orientale du réseau, et, 5 D.U. plus tard, je me stabilisais aux abords de Drhyz 87.

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8.3 Choc.

Dryhz 87 avait un volume inférieur à celui de 08. Ses étendues de bauxite et sa richesse en minerai de blende lui donnaient habituellement une teinte rougeâtre que l'atmosphère ne parvenait pas à masquer. Mais, en ce moment, la vapeur d'eau qui stagnait encore sur toute sa surface, la peignait d'une blancheur d'albâtre homogène. Je plongeais dans ce voile pour faire un tour d'observation. A travers la brume qui se dissipait, j ' aperçus une agglomération. En m'approchant, je constatais son délabrement très avancé. La chaleur avait été beaucoup plus forte ici puisque des structures en alliage métallique léger s'étaient déformées. Certains immeubles s'étaient effondrés après des affaissements de terrain et toute la végétation se réduisait à des amas de cendres aux formes étranges. J'interrogeais l'ordinateur de bord qui m'indiqua une température au sol de 43~. Pourtant, les rues étaient désertes.

Ce calme apparent ne me plaisait pas, et je décidais de prendre la direction de la mégapole de Drhyz 87. En chemin, je croisais enfin quelques bouées de transport. Elles avaient perdu leur belle couleur d'origine et semblaient sortir de la cheminée d'un volcan. J'eus une pensée admirative envers nos techniciens qui concevaient des véhicules aussi solides pour résister à de tels traitements. Au fur et à mesure de ma progression, les bouées se multipliaient puis elles devinrent innombrables. Elles convergeaient toutes vers un point que mon ordinateur de bord ne définit pas comme étant la mégapole 87 mais la base de vols supra-galactiques située un peu plus à l'ouest. Je suivis ce flot en gardant de bonnes distances, et j'avais maintenant sous moi une nuée de véhicules volants qui noircissaient le ciel. J'eus la confirmation de ce que je pensais lorsque j'arrivais près de la base d'envol : toute la population de cette planète, soit cinq millions de mutants, se massaient ici en attendant le retour des navettes volantes - Objectif : embarquer vers Drhyz OS avant d'envahir les autres planètes du réseau. J'appelais le Grand Magellan pour obtenir des renseignements. Je sus que les mutants s'étalent posés sur Drhyz OS et cherchaient à pénétrer dans les habitations. D'ores et déjà, ceux de la première vague contrôlaient au moins deux mille immeubles. Ghya comptait certes plus de quatre-vingts millions d'habitations mais les agresseurs, malgré la faiblesse de leur nombre, représentaient un réel danger pour cette population pacifique, inoffensive et désarmée. Je montais en altitude pour quitter l'atmosphère de la planète 87, en direction de sa voisine Drhyz 74. En moins d'une unité je survolais sa surface et j'assistais au même phénomène de regroupement général de la population autour de la base de vols supra-galactiques. La situation n'offrait pas la moindre ambiguïté : les occupants de ces deux planètes étaient intégralement perdus. Sans plus aucun doute ni remords de conscience, je décidais de mettre en œuvre mon plan de contre-attaque. Je pris de la hauteur pour me placer en géostationnaire a la bordure extrême de l'atmosphère de Drhyz 74. A cette distance, je pouvais voir la planète dans son intégralité, avec ses trois continents qui s'étendaient sur la moitié de sa surface. Je sortis de ma coque protectrice et je profitais quelques instants de la situation d'apesanteur pour me détendre un peu. Ce fut bref, le temps n'était pas aux loisirs. Je m'approchais de ce générateur d'ondes gravitationnelles pour en manipuler le clavier de commande. Je programmais une puissance de 70 R.gh. et la machine se mît à ronronner doucement, de façon régulière, presque rassurante. Je me réinstallais sur mon siège de pilotage, et j'orientais ma soucoupe comme si je voulais faire demi-tour vers Drhyz 87 - je la voyais comme une jolie boule rose sur l'écran frontal. Je programmais une vitesse ultra-réduite, et visualisais ma position dans la sphère de contrôle réglée plein zoom sur mon aérodyne lui-même. Alors, une sueur froide me glaça. Je me voyais m'éloigner lentement mais sûrement de Drhyz 74, mon plan ne fonctionnait donc pas. Je vérifiais sur un écran de contrôle mon taux de fuite par rapport au centre de la planète 74, et l'ordinateur indiquait bien une valeur positive. Il me fallut quelques fractions d ' U. pour réguler mon émotion et reprendre confiance pour tenter un nouvel essai. Je repris ma place initiale au bord de l'atmosphère de Drhyz 74 ; je me hissais encore face au clavier du générateur d'ondes de gravité, mais j'y programmais cette fois-ci la puissance maximale. L'écran de la machine indiqua :

" Attention, 95 R.gh. Puissance maximale programmée. Zone d'utilisation dangereuse - exceptionnelle. Formuler à nouveau la commande ".

Sans l'ombre d'une hésitation je confirmais, et le générateur passa du ronronnement serein à un bruit inquiétant. Je me réinstallais vite sur mon siège de pilotage et j'opérais la même manœuvre de déplacement en petite vitesse. Je surveillais très attentivement ma situation dans la sphère de contrôle, et je fis, soulagé, la constatation attendue: ma position demeurait fixe par rapport à Drhyz 74. Sur l'écran, l'ordinateur confirmait : " Taux de fuite : O ".

J'étais en train de gagner mon pari, et la guerre contre les mutants : le générateur d'ondes de gravité que j'avais embarqué attirait vers moi la planète 74 toute entière, et la progression de ma soucoupe la mettait en mouvement. J'allais maintenant lui donner de l'accélération, une vitesse suffisante pour en faire un formidable projectile sidéral qui rentrerait en collision avec l'autre planète mutante. J'augmentais maintenant mon allure en entraînant dans mon sillage le gigantesque sphère de matière. Je pris une trajectoire elliptique avec pour centre : Dhryz 87. Je fis trois révolutions en accélérant autour de cet l'axe cible. Derrière mol, Drhyz 74 suivait maintenant à grande vitesse ; j'allais pouvoir boucler ma trajectoire dans une spirale. Je refermais l'étau avec entre ses mors, le choc final. Les distances se resserraient ; Drhyz 87 remplissait déjà de son image tous les hublots latéraux de mon aérodyne. Alors, je piquais directement sur elle, la manœuvre ne tolérant pas la moindre erreur. Je fis fonctionner le pilotage automatique, droit devant. Malgré la très forte pression, je me dégageais de ma coquille de protection, et de mon harnais de sécurité. Je m'agrippais au bord du siège de commande. Drhyz 87 prenait maintenant toute la surface de l'écran frontal et j'allais bientôt pénétrer dans son atmosphère. Je me hissais de toutes mes forces vers le clavier de ce générateur dont le vacarme était devenu insupportable. Enfin, je le stoppais. Derrière moi la planète Drhyz 74, comme lancée par une fronde cosmique, suivait mon sillon. Je mobilisais mes dernières forces physiques pour retourner sur mon siège, ceinturer mon harnais magnétique, fermer la coquille. Devant, la surface de Drhyz 87 approchait à toute allure. Je déviais alors de ma trajectoire, en donnant une propulsion perpendiculaire qui m'éloigna. Par le dôme de mon aérodyne, je vis mon projectile astral passer au-dessus de moi à une allure folle. Ensuite, les atmosphères des deux planètes se fondirent et, l'instant d'après, le choc formidable illumina l'espace dans un tonnerre titanesque Le champ magnétique de la soucoupe se déclencha aussitôt pour me protéger des débris de matière en fusion projetés par la collision. Je fermais les yeux de soulagement, cette bataille était gagnée.

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8.4 Décapite.

J'appelais le grand Magellan sur Drhyz 08 mais la commutation ne s'opérait pas.

J'essayerais plus tard. Pour l'instant, je devais me sortir de cette zone de chaos, où des blocs de matière gros comme des montagnes me passaient au-dessus de la tête. Heureusement, l'ordinateur du bord était suffisamment précis pour se frayer un chemin cohérent dans cet environnement de désordre. Après une unité de vol, l'espace redevint calme. A cette distance, toute la matière propulsée s'était déjà consumée mais le cosmos gardaient la brillance de la déflagration. Je me dirigeais vers ma planète avec la satisfaction du travail accompli. Pourtant, il me faudrait encore affronter Mioxe et ses milliers de mutants installés sur Drhyz 08. Je n'eus pas le temps pour y penser davantage, j'arrivais déjà aux abords de Ghya. La flottille des soucoupes volantes des agresseurs encerclait l'agglomération. Ils savaient sans doute que leurs planètes étaient pulvérisées. Je survolais la grande cité et je mis le cap sur le stade de démonstrations sportives. Par chance, le terrain était libre et Je pus m'y poser à nouveau. J'enfilais mon scaphandre qui me propulsa vers le laboratoire. La vapeur finissait de se disloquer et les rues désertes reprenaient une allure presque normale. Arrivé au bâtiment des recherches, j'ouvris le sas et je me débarrassais de mon harnachement. Je montais vers le niveau d'observation ; un silence inquiétant y régnait et j'eus soudain un affreux pressentiment. Je marchais prudemment dans le vaste niveau et, après quelques pas, je fis la découverte à laquelle je m'attendais : prés de la sphère centrale de contrôle, les corps déchiquetés du Grand Magellan, et des deux ingénieurs gisaient dans une mare de sang. Je ne pus réfréner un mouvement de recul, et un sentiment de profond dégoût monta en moi. Ce crime odieux avait sans doute été commis par Mioxe qui connaissait les codes d'entrée du bâtiment. Soudain, je sentis une présence derrière moi. Dans un frisson, je fis demi-tour et je vis prêt à bondir, Mioxe et son regard brillant de cruauté. Je me précipitais avec toute mon énergie vers l'escalier. Mioxe me poursuivait en poussant des grognements saccadés qui m'informaient sur son intention de me dévorer. Je dégringolais les marches mais je l'entendais tout proche de moi. Je ne mis alors à repenser à cette terrible douleur que Jacqueline me transmettait au moment où j'absorbais les âmes des Terriens à purifier. Je focalisais toute mon attention sur ce souvenir, et ce sentiment d'agressivité intense remonta en moi. Je me retournais ; Mioxe s' apprétait à me sauter dessus mais là, ma haine fut bien plus puissante que la sienne. Je bloquais sa tête dans mes mains, et je saisis sa gorge entre mes mâchoires jusque a que mes dents se rejoignent. Un sang carmin jaillit comme un geyser de sa carotide sectionnée. J'arrachais la moitié de son cou. Il s'affaissa, avec un regard figé qui témoignait encore de sa surprise. Il eut quelques sursauts convulsifs et mourut, baigné dans le sang qui finissait de se vider de son corps. Je regardais cette scène encore dans un état second. J'avais, dans tous les sens du terme, décapité l'Invasion des mutants. Je recrachais les morceaux de chair que je tenais encore entre mes dents et Je réalisais seulement ce que je venais de faire. Une violente nausée monta du plus profond de moi-même, et je courus vers une pièce d'hygiène pour me nettoyer le corps. Je me déshabillais et j'actionnais le gyrostat. Le cylindre de lavage sortit du sol pour m'entourer. Les petits jets d'eau pulsée qui s'éjectaient de toute la surface de cette paroi rotative, me lavèrent des taches de sang et aidèrent à me remettre les idées en place. Je me mis à réfléchir à ce qui venait de se passer. Mioxe, le mutant, n'avait pas eu la même réaction que son semblable qui se trouvait dans mon immeuble. Pourquoi en avais-je effrayé un et pas l'autre ? Le gyrostat de lavage tournait autour de moi, et je faisais le vide dans ma tête en appréciant les micro-massages des innombrables petits jets d'eau qui me fouettaient. Soudain, le déclic s'opéra dans mon esprit : ce n'était, bien sur, pas moi mais Jacqueline qui avait terrorisé le premier mutant. Je stoppais là ma toilette et j'enfilais ma combinaison qui, heureusement recouverte d'une substance anti adhérente, avait été épargnée de toute trace de Bang. J'empruntais un passage parallèle et je pus rejoindre le sas de sortie sans croiser à nouveau le cadavre de Mioxe. Dehors, la brume avait presque disparu permettant maintenant une visibilité parfaite. La température se situait aux alentours de 42~ mais les rues restaient toujours désertes. Je me dirigeais vers mon immeuble avec la ferme intention de connaître le rôle exact de Jacqueline dans cette affaire. En chemin, je croisais le grand auditorium des vibrations musicales puis la façade de granit turquoise du palais Magellaire ; je sentais mille regards m'observer à travers les parois de quartz des immeubles. J'arrivais bientôt devant chez moi ; l'accès était débloqué. Je pénétrais dans le premier niveau, et je vis la silhouette de Jacqueline allongée sur le matelas d'hélium allégé qui flottait au milieu de la pièce. Je m'approchais doucement d'elle et une surprise de plus me saisit : Jacqueline était endormie dans une complète nudité. Une absolue sérénité se dégageait d'elle.

Elle avait retrouvé son aspect de femme humaine.

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8.5 Mise au point.

Jacqueline ouvrit les yeux. Son crâne se hérissait de ses cheveux noirs originels qui repoussaient, et son corps avait retrouvé les rondeurs féminines spécifiques aux Terriennes. La jeune femme me regarda comme Si elle sortait d'un rêve. Malgré ma stupeur, je pris 1 'initiative de poser la première question

-" Jacqueline, tu vas maintenant me dire ce qui s'est vraiment passé."

Elle se redressa sur les coudes et s'assit en tailleur. D'une lente rotation de la tête, elle observa le décor qu'elle semblait découvrir et déclara enfin :

-" Original !"

Jacqueline jouait-elle une nouvelle comédie ou avait-elle vraiment perdu la mémoire de sa période de mutation ? Cette fois, je n'avais pas l'intention de me laisser berner et, s'il s'agissait de ce fameux humour Terrien dont elle me donnait un nouvel exemple, il ne provoquait pas le moindre sourire chez moi.

Je saisis fermement son épaule. La force avec laquelle je me mis à serrer lui confirma que je n'avais pas du tout le cœur a plaisanter. Dans une grimace de douleur, elle obtempéra :

-" D'accord, Kuhing, je vais tout te raconter mais, de grâce, lâche-moi."

Même si, nous autres Drhyz, nous nous nourrissions essentiellement de plancton, notre tonus musculaire dépassait de loin celui des meilleurs athlètes humains, et Jacqueline en faisait l'expérience en ce moment même. Je desserrais l'étau de mes doigts, et je lui fis comprendre, d'un signe de tête, que j'attendais ses explications, et vite fait. Elle se massa vigoureusement l'épaule en clignant les yeux comme pour ne plus voir son mal. Puis, elle commença par une question ;

-" Que veux-tu savoir exactement ?"

-" Tout." Dis-je.

La Jeune femme se leva et enfila sa combinaison. Puis, s'approchant de mol, elle entama son récit :

-" Dieu m'a envoyé un message juste après le début du Big-Crunch ; Il n'en était pas à l'origine. D'ailleurs, ni les Drhyz ni les Terriens n 'étaient prêts pour le Projet Final, et cette contraction ne pouvait pas aboutir à l'Unification mais tout au plus à la destruction du feuillet 24."

Elle attendit ma réaction. Je ne voyais pas d'incohérence dans ses propos mais je devais tester plus encore sa bonne foi.

-" Mais alors, qui a enclenché un tel phénomène 51 Dieu n'en est pas responsable ?" M'étonnais-je ?

-" Mioxe." Lança la jeune femme avec un air de dégout.

-" C'est impensable, jamais un Drhyz n'aurait pu élaborer un plan aussi meurtrier."

-" Un Drhyz non, mais un mutant oui." Répondit Jacqueline.

Je ne comprenais plus ce que la jeune femme me racontait. Devant mon air sceptique, elle avança dans ses explications :

-" La transmutation des Drhyz des planètes 87 et 74 ne date pas du Big-Crunch mais elle a commencé depuis de nombreuses D.U. Cette petite étoile à neutrons située à proximité de leurs planètes était bien moins inoffensive que vous le pensiez. Elle a progressivement modifié le comportement de ces populations avant que tu en voies le résultat final. Mioxe, et ses semblables ont acquis le même mal qui ronge les terriens et les conduit aux pires exactions : la soif du pouvoir. L'intention de Mioxe, et de ses semblables était de dominer l'espèce Drhyz. Cependant, ta théorie du feuillet synthétique le gênait terriblement ; un Drhyz capable de retrouver la mécanique divine risquait de contrecarrer ses plans. Après la décision de ton expulsion, il a lui-même volé les Instruments dont tu avais besoin pour expérimenter tes hypothèses et quand il t'a vu revenir, il a préféré détruire tout le feuillet 24 pour coloniser, avec les siens, un autre univers Il voulait régner en maître sur une autre civilisation et, s'il avait pu toutes celles qui existent."

J'écoutais toutes ces explications complètement subjugué. Tout ce que racontait Jacqueline paraissait pourtant plausible même Si de nombreux points m'échappaient encore. Je me mis en quête d'autres précisions :

-" Pourquoi Dieu t'a-t-il informé de la situation et m'a-t-il laissé dans l'ignorance ?"

Jacqueline réagit à ma question comme un maître d'enseignement devant un élève qui a dit une bêtise :

-" Kuhing, tu as toi-même compris que le Big-bang de l'Unification doit venir de la matière elle-même. L'intelligence a engendré l'énergie ; l'énergie a engendré la matière, et la matière devra engendrer l'intelligence. Tel doit être le chemin à parcourir pour aboutir au Projet Final."

La Jeune femme fit une pause, en cherchant dans mon regard si ses arguments suffisaient à me convaincre. Sans doute rassurée, elle poursuivit :

-" Dieu ne pouvait en aucun cas intervenir sur le principal acteur de son œuvre : toi-même. Tu devais stopper ce Big-crunch sans son aide et tu y es parvenu."

Jacqueline s'assit comme si elle venait d'accomplir un très gros effort on me dévoilant ces informations. Puis un sourire témoigna de son apaisement et elle ajouta comme pour s'excuser :

-" Certes, le créateur a donné un petit coup de pouce par mon interm6diaire mais juste un tout petit. D'autres questions ?"

Concernant la capacité de Mioxe à déclencher un Big-Crunch, je conclus moi-même qu'avec les éléments des données de ma théorie des feuillets synthétiques, Il avait très bien pu l'adapter à une fin contraire. Il restait encore un point sur lequel je n'avais pas trouvé de réponse, et j'interrogeais encore Jacqueline :

-" Peux-tu enfin m'éclairer sur la fuite du mutant lorsqu'il t'a vu apparaître ainsi que sur ton attitude durant cette période ?"

Le visage de Jacqueline s'habilla alors d'une expression de gravité ; je vis des larmes monter dans ses yeux. Puis elle tenta de se ressaisir. Elle y parvint.

-" C'est justement le coup de pouce dont je te parlais tout à l'heure, dit-elle. Je t'avoue que ce n'est pas le genre d'assistance que je solliciterai à nouveau. Le mutant s'est enfui en me voyant parce qu'il venait d'assister quelques U. plus tôt à la manière dont j'avais assassiné son compagnon."

-" Comment ?" Dis-je stupéfait.

-" Oui Kuhing, le corps qui gisait n'était pas celui de Traxog. L'ingénieur n'a jamais franchi le seuil de cet immeuble. Ce cadavre était celui d'un autre mutant. Ils se sont présentés tous deux avec l'intention affirmée de m'inscrire à leur menu et, quand je les ai vus pénétrer ici, j'ai couru jusqu'au deuxième niveau avec eux à mes trousses. Dieu m'a alors envoyé une formidable décharge d'énergie que j'ai pu transformer en agressivité. Alors, j'ai saisi l'un d'eux à pleines mains et je l'ai égorgé à coups de dents. L'autre fut terrifié ; il s'est collé contre la paroi de l'étage, et quand il m'a vue partir, son besoin de sang l'a amené près du cadavre de son semblable. Il l'a dévoré plus tard."

Jacqueline paraissait très émue, et je la comprenais parfaitement, son récit me rappelait étrangement l'épisode que je venais de vivre. Je laissais passer un moment de silence.

-" Mais ta folie apparente ?" Demandais-je.

-" Ce fut ma façon de réagir à l'horreur. Je n'ai plus rien contrôlé." Dit-elle.

Je la crus. J'avais maintenant tous les éléments en mains pour recoller les pièces du puzzle de cette histoire. Tous les éléments ? Pas tout à fait encore, et je fis part à la jeune femme de ma dernière interrogation qui concernait sa propre forme :

-" Mais, tu as repris l'apparence d'une Terrienne." Dis-je.

-" Tu es vraiment observateur Kuhing, me dit-elle, et j'ai une autre bonne nouvelle à t'apprendre : on va bientôt pouvoir m'appeler Maman. Chez nous, on appelle ça un heureux événement."

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8.6 Remise en état.

J'étais maintenant au fait de toutes les informations que j'attendais, et la priorité allait à la remise en état de ma planète. Environ dix mille mutants occupaient encore Drhyz 08 et nous devions nous en débarrasser vite. Je proposais à Jacqueline de m'accompagner au laboratoire des recherches, et nous enfilâmes à la hâte nos scaphandres. Dans ce couloir du hall, le corps ensanglanté de Mioxe gisait toujours. A sa vue, ma jeune compagne eut un réflexe de recul mais nous devions tous deux dépasser notre aversion ; ce cadavre nous servirait de leurre pour piéger les mutants. Je l'attrapais sous les aisselles et je fis signe à Jacqueline de le soulever par les pieds en direction de la salle d'hygiène. Nous entreprîmes alors son toilettage minutieux et, quand il fut parfaitement propre, nous le montâmes dans le laboratoire d'observation. La rigidité du corps nous permit de l'adosser contre la sphère de contrôle. J'orientais manuellement l'émetteur d'hologrammes dans sa direction en réalisant un cadrage suffisamment large pour que les détails passent inaperçus ; " un plan américain ", comme disent les Terriens. Je saisis un microphone, et je m'installais hors champ pour un play-back. Jacqueline envoya la diffusion, et je lançais le faux message dans toute la mégapole de Ghya :

-" Frères des planètes 87 et 74, Mioxe s'adresse à vous. Le Grand Magellan est mort. Kuhing est parvenu à détruire nos planètes, mais il a rejoint à son tour le grand néant. Désormais Drhyz 08 nous appartient. Retrouvons-nous tous, d'ici 3 U., dans l'enceinte du stade des démonstrations sportives, pour organiser notre prise de pouvoir. Notre grand règne sur le réseau Drhyz et sur tous les univers, commence !"

Jacqueline interrompit l'émission. Le piège était tendu, je devais maintenant le refermer. Je descendis dans le laboratoire d'essais avec la même idée en tête que, pour fabriquer une arme, peu importait l'instrument si la volonté de détruire était assez forte. Jacqueline me suivait en s'interrogeant sur ce que j'allais encore inventer. Je m'emparais d'un traxinotron, et nous montâmes pour embarquer sur une des bouées de transport stationnées sur le toit. Moins d'une U. plus tard, nous survolions le stade bourré de mutants. Je questionnais l'ordinateur du bord : 10.234 mutants avaient répondu à l'appel et attendaient dans un puissant vacarme l'arrivée de leur chef Mioxe. Je saisis le traxinotron puis je dirigeais son rayon sur les murs épais qui entouraient les gradins. L'effet attendu fut immédiat. La structure minérale qui composait les parois du stade se déforma puis, sous les regards ahuris des mutants, elle se liquéfia pour les engloutir et les fossiliser à jamais. Cette fois-ci, la guerre était complètement gagnée. Je lançais un appel à la population pour qu'elle récupère sa planète et qu'elle se mette au travail, afin de réparer les dégâts.

Les Drhyz sortaient peu à peu de leurs habitations, et s'organisaient spontanément à la reconstruction de Ghya. Exceptionnellement, la durée du temps de travail de la période à venir serait quadruplée. Nous retournâmes Jacqueline et moi vers mon habitation avec la ferme intention de savourer un repas bien mérité. Nous montâmes au cinquième niveau qui accueillait habituellement ce genre d'activités. Je sortis deux doses de plancton lyophilisé et un grand flacon rempli de jus de coléoptile. Je pensais soudain aux ravages que l'amorce du Big-crunch avait produit sur nos réserves naturelles, et je fis part de mes soucis à Jacqueline à ce sujet. Elle me répondit que le génie génétique des Drhyz arrangerait ça en moins de 500 U. Elle avait bien sur raison, je m'inquiétais pour rien. Jacqueline regarda sa ration de plancton qui ressemblait à une pâtée verdâtre, il est vrai peu appétissante pour un humain, et dit :

-" Pour moi ce sera des fraises, avec un peu de crème fraîche et beaucoup de sucre."

Je fis gentiment remarquer à mon interlocutrice, qu'à moins qu'elle utilise également le comique de répétition, une boutade du même cru était sortie de sa bouche et en ces lieux même, peu de temps auparavant. Jacqueline me regarda avec le plus grand sérieux et déclara solennellement:

-" Mais, cher Kuhing, je ne plaisante pas le moins du monde. D'ailleurs, sais-tu qu'il ne faut jamais contrarier les envies d'une femme qui attend un bébé ?"

-" Quoi, m'étonnais - je, cette histoire de maternité ne faisait pas également partie du registre humoristique de ta planète ?"

La jeune femme déboutonna sa combinaison et me montra son ventre déjà rebondi.

-" Et celle-la, tu la trouves rondement drôle, n'est - ce pas ? " Dit-elle.

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E

9.1 Questions.

Jacqueline, redevenue femme, serait bientôt mère. Elle voulait retourner sur sa planète pour que son enfant voie le jour dans l'environnement des hommes. J'acceptais de la ramener sur Terre mais, auparavant, je devais informer mes semblables de ce qui les attendait avec le Projet Final.

Les Drhyz avaient besoin d'un nouveau Magellan, et je proposais de réunir le conseil pour organiser la succession. Je lançais un appel à chacun de ses membres et rendez-vous fut pris dans 20 U. au palais magellaire. En attendant, Jacqueline et moi, allâmes nous reposer. Je montais au quatrième niveau, où je m'allongeais sur un matelas suspendu. Je fermais les yeux en pensant à toute cette extraordinaire aventure que je vivais. Qu'allait-il se passer maintenant ? Je l'ignorais totalement. Devais-je retourner dans un tunnel de basculement pour reprendre contact avec le Créateur divin et ses quatre fils ou bien fallait-il que je me laisse porter par les événements en attendant un contact éventuel de l'au-delà ?

Et le nouvel univers-miroir que j'avais créé, quelle influence aurait-il sur le Projet Final puisque j'étais intervenu moi-même dans l'œuvre de Dieu ?

Et cette armée de l'Unification sur la planète Terre ?

Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête et m'empêchaient une fois de plus de trouver le repos dont j'avais besoin. Et puis, au fur et à mesure que mes idées s'enchaînaient, une réflexion d'un autre type commença à germer dans mon esprit. Je pensais à ce formidable canevas que constituaient les cosmos mais l'image des scènes d'horreur auxquelles j'avais assisté sur la planète Terre, sur celle de CATEWOS ou récemment sur la mienne s'y associaient instantanément Dieu avait eu l'intelligence et la force de créer ces univers aux complexités extrêmes mais il aboutissait à un constat d'échec quant à ses prétendus objectifs. Cette contradiction me gênait de plus en plus et m'amenait à me poser des questions sur sa propre nature :

Dieu contrôlait-il parfaitement la situation ou jouait-il seulement aux dés ? Représentait-il vraiment le début et la fin de tout ?

N'était-il pas lui-même le résultat d'une autre tentative mal orientée ? N'était-il pas, après tout, lui aussi, un imposteur de plus ?

La grande certitude dont je gardais le souvenir avait laissé la place au plus profond des doutes, et une interrogation prenait forme dans ma tête : la solution de tous les maux qui accablaient les civilisations pensantes ne se trouvait-elle pas dans la destruction de Dieu lui-même ? Car, finalement, il portait la responsabilité du désastre dont je venais d'être l'acteur dans mon réseau Drhyz. Plus ma réflexion avançait, plus ce Dieu m'apparaissait comme un être perfide qui, du haut de son Olympe, organisait et s'amusait à des jeux de massacre. Je tentais de résister à cette pensée embarrassante, mais en vain. Soudain, elle devint plus forte que tout et, une fois encore, je bondis de ma couche pour rejoindre mon bureau avec cette nouvelle énigme en tête : comment parvenir à éliminer celui en qui j'avais perdu toute confiance ? Je m'installais devant mon tableau et je me mis à réfléchir à ce problème. Le Projet final dont la Source avait parlé nécessitait la destruction de tous les feuillets d'univers et de la vie qu'ils abritaient. C'était le moyen dont le Divin disposait pour engendrer son double et ce formidable enfantement se nourrissait de l'intégralité cosmique, le mettant au rang des prédateurs les plus extraordinaires qui puissent exister. J'eus alors cette invraisemblable conviction que l'entité que j'avais rencontrée dans le tunnel de basculement n'était qu'une individualité parmi d'autres avec les préoccupations mesquines d'un pouvoir égoïste. Peut-être même que, dans cette population d'une nature différente, une bataille entre un bien et un mal se menait également et rien ne permettait d'affirmer que celui qui m'avait parlé se situait dans le bon camp. Si ce Dieu cristallisait cet absolu de bonté, pourquoi permettait-il tant d'ignominies ici-bas ? Je devais en avoir le cœur net et il me fallait pour cela accéder à la dimension divine non pas en tant qu'hôte mais comme un conquérant. Je repris l'énoncé de ma théorie du feuillet synthétique en cherchant son adaptation inverse. A peine 8 U. suffirent pour trouver ce que Mioxe avait calculé et transformer la création d'un Big-bang en celle d'un Big-crunch. Pour égaler la puissance de Dieu1 il fallait réaliser une opération de plus grande envergure en contractant tous les feuillets d'univers existants et isoler les organismes vivants a préserver. Je sentis soudain une présence derrière mon dos. Je me retournais et je vis Jacqueline. Elle s'approcha de moi et me confia son empressement à retourner sur sa planète elle voulait partir tout de suite. Son attention se porta sur les équations qui défilaient à toute allure sur mon tableau. Elle m'interrogea sur la nature de mon travail et, après une hésitation, je la mis au courant de mes récentes questions ainsi que de mes ambitieuses intentions. La jeune femme fut surprise par la nature de mes propos, mais j'étais devenu 51 sur de mol1 qu'elle se laissa progressivement convaincre par mon argumentation. Elle jugea bien sur le projet audacieux puis finit par demander comment je comptais fabriquer cette " Arche de Noé cosmique". Une telle machine m'était inconnue et Jacqueline me raconta la vieille histoire de ce Terrien, 3000 de leurs unités de temps avant la naissance de Jésus. Noé rassembla des couples de différentes espèces animales alors qu'un déluge allait engloutir sa planète.

Légende ou réalité, personne sur Terre ne le savait vraiment, mais cette histoire correspondait effectivement à ce que je devais réaliser à l'échelle de tous les univers existants, et nous allions maintenant en informer le conseil supérieur.

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9.2 Vote.

Nous sortîmes. Une multitude de Drhyz s'affairaient à réparer les dégâts et la ville reprenait son aspect antérieur. Le sol de granit était déjà repoli et de jeunes pousses végétales à croissance rapide remplaçaient les arbres morts. Des brigades d'assainissement vaporisaient en ce moment même, sur la mégapole, une substance minérale odorante qui rappelait à Jacqueline le parfum d'une fleur de chez elle appelée jasmin. En à peine 20 U., Ghya s'était rhabillée de neuf et le récent désastre ne semblait qu'un lointain souvenir. Au coin de la rue, le palais magellaire nous apparut dans toute sa grandeur, avec des milliers de Drhyz agglutinés sur sa façade, qui apportaient les derniers soins de nettoyage. Nous entrâmes dans le couloir d'accès et cette fois-ci le portail ne s'abaissa pas - Le système de sécurité, accordé sur la fréquence cérébrale du grand Magellan, s'était déconnecté après sa mort. Nous nous dirigeâmes vers la grande salle du conseil et les douze membres nous y attendaient en bavardant. Le silence se fit dés qu'ils nous virent et le premier conseiller s'approcha pour nous souhaiter la bienvenue. Tous avaient bien sur suivi les événements depuis leurs planètes respectives jusqu'à la mort du grand Magellan et me témoignèrent de leur gratitude au nom de toute l'espèce Dhryz. Nous nous installâmes sur les larges fauteuils de granit qui émergeaient du sol ; la jeune Terrienne s'assit à mon coté et tous les regards convergeaient sur elle, un rien étonnés. Je pris l'initiative de raconter mon épopée, depuis mon expulsion de ma planète O8 jusqu'à soumettre mes dernières réflexions sur la nature de Dieu lui-même. Je demandais enfin qu'un tour de parole s'organise pour que chacun puisse donner son avis sur mon dernier projet. Il se passa un court moment de silence et un des conseillers se décida à intervenir :

-" Kuhing, les événements que tu relates sont extraordinaires et je ne possède aucun élément pour remettre en cause leur authenticité. La puissance du Dieu, source des univers, celui que tu dis avoir rencontré, parait bien grande pour que les Drhyz, encore simples mortels, puissent l'affronter. S'il existe une population divine et, comme tu en émets l'hypothèse, un combat supra-matériel entre le bien et le mal, n'est - il pas plus sage de le laisser mener par les principaux intéressés ? Les Drhyz ont atteint un stade d'évolution qui leur permet de vivre heureux et sereins, loin des ennuis de ceux qui peuplent les autres dimensions. La problématique divine, tout comme les imperfections des autres civilisations, ne nous ont amené que des catastrophes. Par conséquent, je suis d'avis de retrouver la vie tranquille de notre dimension et de renvoyer cette étrangère sur sa planète."

Le conseiller s'assit en provoquant une petite rumeur dans l'assemblée. Certains approuvaient d'un signe de tète son point de vue, mais l'unanimité ne semblait pas acquise. Un autre Drhyz se leva alors pour exprimer une opinion contradictoire :

-" La position du frère qui représente les zones sud de notre réseau, témoigne d'une sagesse et d'une humilité qui l'honorent ; mais sa vision de la situation reste peut-être trop réduite. L'espèce Drhyz est certes la plus avancée de toutes, mais elle fait partie intégrante de l'ensemble des univers. Elle subira donc la répercussion des problèmes de nos voisins d'une façon ou d'une autre. Notre science a percé presque tous les mystères de la nature et Kuhing, en créant un nouvel univers, vient d'en dévoiler un des derniers, peut-être l'ultime. Devons-nous nous arrêter en si bonne voie ? En avons-nous le droit ? La puissance de Dieu semble effectivement gigantesque, peut-être même infinie mais souvenez-vous de nos ancêtres pour qui les espaces intergalactiques les leur paraissaient tout autant. Cela leur a-t-il empêché de trouver le moyen de franchir ces distances plus vite que le fait la lumière ? Je crois que tout ce qui existe est fait pour être découvert et nous devons continuer à élucider les énigmes que nous rencontrons, quels que soient les risques encourus. Le Dieu que Kuhing a rencontré nous annonce un Projet Final qui, en dernière analyse, semble servir seulement lui-même. Tout ceci semble contraire à l'idéal moral vers lequel nous tendons. Ce Dieu ne nous a-t-il engendrés que pour atteindre son propre objectif sans se soucier du reste ? Et finalement, n'existe-t-il rien ni personne au-dessus ou à coté de lui? Après l'exposé de notre frère Kuhing, je ne le crois plus et je pense qu'à ce stade de l'évolution de notre civilisation, nous ne pouvons pas éviter cette question fondamentale."

Le frère Drhyz se rassit, mais cette fois tous les conseillers se turent, comme pressés sous le poids de son argumentation et de ses interrogations. Il venait de formuler avec exactitude mon opinion sur la situation. Je repris la parole pour le confirmer, et nous décidâmes d'un vote parmi l'assemblée sur la position de principe à adopter. Sur les douze, huit adoptèrent ma proposition. Il fallait maintenant mettre en place une stratégie et je présentais le plan suivant :

-" Nous devons préserver les espèces vivantes des feuillets d'univers en en rassemblant leurs représentants. Nous les ramènerons dans notre réseau puis nous isolerons notre galaxie IXA du reste des cosmos. Alors nous produirons la contraction de tous les feuillets d'univers et, utilisant sa résultante énergétique, nous serons en mesure d 'affronter la puissance divine."

Un silence pesant souligna l'ambition de la tache.

-" Nais comment canaliser et stocker cette formidable quantité d'énergie ? Interjeta enfin le représentant des zones centrales.

-" Je ne le sais pas encore." Dis-je.

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9.3 L'arche.

Les contractions des feuillets d'univers devaient suivre un processus de réactions en chaîne dont j'entrevoyais déjà la solution théorique ; je réunis quelques milliers de Drhyz fondamentalistes et je leur demandais de la développer mathématiquement. Par contre, le stockage de l'énergie résultant des Big-crunch restait, à cette étape, encore une énigme. J'avais pourtant la conviction intime que je résoudrais ce problème en temps utile et qu ' il fallait dès maintenant rassembler les espèces vivantes des autres feuillets pour les ramener dans notre réseau. Je demandais aux ingénieurs aéronauticiens de Drhyz 08 de concevoir un aérodyne suffisamment grand pour transporter cent quarante quatre mille passagers. Il était en effet impossible de transférer matériellement la totalité des populations et nous devions faire un choix. Cent U. se passèrent, et l'on me prévint que les plans de l'Arche cosmique étaient déjà bouclés. Je me rendis alors sur la base de départ supra-galactique pour découvrir ce que nos techniciens avaient réalisé.

L'Arche se présentait comme une gigantesque structure lenticulaire constituée d'un gros noyau central aplati qui formait l'habitacle. Sur lui, s'agrippaient cinq cents de nos soucoupes volantes traditionnelles. Elles serviraient à la fois de propulseur et de navettes pour se rendre sur les planètes habitées, la taille souvent réduite des tunnels de basculement ne permettant pas le passage d'un engin aussi gros. L'Arche resterait en poste à proximité du premier trou noir pour attendre les représentants de chaque espèce. Nous avions prévu d'aménager pour eux, au retour, des planètes inhabitées du réseau Drhyz ou chaque espèce pourrait recréer sa civilisation avant de réaliser une synthèse entre elles et nous. J'approuvais le projet proposé par les ingénieurs et la fabrication proprement dite de l'arche commença. Deux cent unités plus tard, elle nous attendait pour l'expédition. Je retournais avec Jacqueline sur l'aire d'envol de la vallée bleue où nous trouvâmes l'engin construit à ciel ouvert. Je fus moi-même impressionné par cet extraordinaire véhicule dont le diamètre dépassait celui du stade des démonstrations sportives de Ghya. Des milliers de Drhyz s'affairaient encore aux derniers préparatifs quand un responsable de la base nous rejoignit. Il nous invita à pénétrer dans l'enceinte de l'Arche. Une des passerelles s'abaissa à notre approche, et nous montâmes dans l'habitacle central. Celui-ci était conçu selon un procédé qui rappela à Jacqueline une structure qu'elle appelait " nid d'abeilles ~, que des insectes du même nom, sur sa planète, fabriquaient d'instinct. Des alvéoles hexagonales de métal transparent tapissaient sur sept couches successives la paroi interne du noyau de l'Arche. Chaque cabine-alvéole pouvait accueillir douze passagers, et possédait un système de fonctionnement autonome en gaz, gravité et alimentation. Un réseau de couloir desservait une plate-forme centrale, où environ vingt mille spécimens de notre taille pouvaient se promener en même temps, sans que cela 8emble encombré. Les techniciens avaient rassemblé toutes leurs compétences pour que cette Arche fut la plus accueillante possible ; et nos plus beaux végétaux, protégés sous de larges serres de verre organique microporeux, ornaient l'aire centrale de rencontre. Des points d'eau sous cloches et des générateurs de brume finissaient de donner à cet environnement un aspect quasi naturel. L'inertie de cette énorme machine et les allers et retours sur les planètes habitées allongeraient de beaucoup le temps du voyage et, plus qu'un simple véhicule, il avait presque fallu construire une biosphère volante. Je ne manquais pas de féliciter le responsable de la base pour le magnifique travail que tous avaient accompli dans un laps de temps Si court. Avec cette humilité propre aux membres de mon espèce, il s'effaça sans mot dire.

Nous ressortions du noyau de l'Arche pour aller marcher, Jacqueline et moi1 sur cette vallée bleue qui s étendait à perte de vue. Le lichen récemment réensemencé par les frères écologistes, était encore tendre sous nos pas et exhalait une fraîche senteur marine. Jacqueline me fit part de la nostalgie qu'elle avait de sa planète et de sa tristesse de ne pouvoir y retourner pour toujours. Elle paraissait très émue et des larmes perlaient au bord de ses yeux. Je la consolais en rappelant que, déjà, des frères des régions nordiques du réseau Drhyz aménageaient un astéroïde qui ressemblait beaucoup à sa Terre natale. En plus, nous ramènerions de cette expédition des clones de végétaux et d'animaux qu'elle connaissait bien. Jacqueline m'écoutait en silence et se laissa peu à peu convaincre par mes paroles rassurantes. Bientôt, elle retrouva même son beau sourire et se déclara impatiente de prendre le départ. Nous fîmes demi-tour et, nous approchâmes à nouveau de la grande Arche cosmique. Les cinq cent pilotes Drhyz, rutilants dans leurs combinaisons, s'engouffraient déjà à la queue le-le dans son noyau central, prêts à s'envoler vers ces horizons lointains. Je retrouvais le responsable de la base qui me confirma que l'engin attendait le décollage. Nous enfilâmes, ma compagne et moi, nos combinaisons de vol que deux frères nous apportèrent, puis nous montâmes à notre tour dans l'habitacle central du vaisseau. Les issues se bouclèrent en silence. Les pilotes s'étaient installés à bord de leurs soucoupes et la plate-forme centrale était déserte. Soudain, une voix de synthèse résonna dans tout l'aérodyne pour nous annoncer le départ imminent. Nous nous approchâmes d'un des grands hublots pour regarder encore cette belle vallée bleue qui m'avait vu m'envoler tant de fois. Puis les réacteurs des soucoupes, collées sur la paroi externe de l'Arche, se mirent en route simultanément, soulevant doucement l'énorme masse métallique.

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9.4 Virtuel.

L'Arche prit plus de cinq U. avant de quitter l'atmosphère de Drhyz 08. A bord d'une soucoupe traditionnelle, nous serions déjà presque arrivés à l'entrée du premier tunnel de basculement. D'après les calculs des ingénieurs l'expédition durerait plus de 2.000 U. et Jacqueline accoucherait de son enfant avant notre retour définitif dans le réseau. L'Arche progressait dans l'espace comme un géant lourd et tout semblait se passer ici au ralenti. Nous décollâmes le nez des hublots pour marcher à travers les allées dépolies de la plate-forme de rencontre. Maintenant, les sas des soucoupes s'ouvraient les uns après les autres vers l'intérieur du noyau du vaisseau, et les pilotes, remplacés par les commandes automatiques, nous rejoignaient progressivement. Quand ils furent tous là, je leur précisais le déroulement du voyage:

-" Frères Drhyz, comme vous le savez, nous sommes en route pour accomplir une tache d'importance capitale. Elle sera l'aboutissement de notre civilisation mais peut-être aussi celui de l'histoire universelle. Vous avez assisté, comme tous les Drhyz, aux débats des conseillers sur ce sujet, et vous avez ratifié leur vote. Sans doute certains d'entre-vous ne partagent pas l'avis adopté par notre grande majorité, mais je sais que notre maîtrise achevée de la démocratie aidera à dépasser les désaccords. Nous irons donc dans chaque feuillet d'univers où des espèces vivantes et pensantes se sont développées, et, pour leur sauvegarde, nous en ramènerons des spécimens."

Un ingénieur demanda alors la parole d'un signe de tête presque imperceptible:

-" Qu'en est-il de ceux que nous ne pourrons ramener?"

L'assistance émit une onde de pensée commune indiquant que cette question les préoccupait tous.

-" Je comprends vos interrogations, Frères. Ce problème moral qui m a également perturbé, devra se régler par un artifice technique."

Puis, m'adressant directement au frère intervenant, je pousuivis:

-" Comme tu le sais, toute intelligence distillée par un cortex pensant fait partie de l'entité cosmique générale de chaque univers. Les fréquences de pensée peuvent être conservées comme nous le faisons déjà pour nos aliments ou notre énergie. Nous devons fabriquer des machines de stockage d'ondes cérébrales. Ainsi, toutes les intelligences seront préservées et restituées, une fois notre mission accomplie. Frère qui t'es fait porte-parole, veux-tu te charger de cette tache spécifique ?"

L'ingénieur, satisfait de ma réponse, acquiesca du même hochement imperceptible et Ryu, car tel était son nom, demanda l'assistance de cinq compagnons pour construire une telle machine. Cette question réglée, je précisais notre itinéraire. L'Arche, comme nous avions maintenant coutume de l'appeler, resterait à proximité du tunnel de basculement, pendant que nous irions chercher avec les aérodynes propulseurs des couples de chaque espèce. Graw superviserait la mission dans le feuillet 56 chez les Vossiens, Sfu et ses compagnons iraient vers la galaxie Trza du feuillet 42 pour ramener des Cryens, Tuv, avec cinquante autres, rejoindrait l'angulation du Dieu Héxié; enfin, Jacqueline, moi et une centaine de pilotes nous rendrions vers la planète Terre, de la galaxie Voie-Lactée du feuillet 57.

Je conclus ce briefing, et l'assemblée se disloqua. Nous avions suffisamment de temps pour prendre du repos avant d'atteindre le tunnel de basculement. Ryu et son équipe décidèrent cependant de commencer immédiatement leurs travaux pour la confection des stockeurs d'ondes cérébrales, même s'il suffisait, aprés tout, d'adapter ceux que nous utilisions déjà lors des passages dans les tunnels, à des gammes de fréquences plus larges.

Jacqueline préféra déambuler à travers les allées autour de la plate-forme de rencontre. Quant à moi, j'avais envie de calme, et je rejoignis une alvéole. D'un geste circulaire, j'opacifiais ses parois métalliques. Une fois encore, j'avais besoin d'isolement pour avancer dans ma réflexion mais avant, j'actionnais le synthétiseur d'images virtuelles. Un champ de lichen bleu inondé de la douce lumière de nos étoiles se dessina alors dans ma cabine. Des vibrations musicales montèrent en puissance, et je me sentais bien. Tout autour de moi n'était qu'illusion articifielle, et dans ce décor de rêve étudié pour la détente, toutes mes préoccupations se dissipaient. J'amplifiais l'effet zoom, et je devins minuscule dans ce paysage. Depuis la mise au point de ce système, nous autres Drhyz, n'avions plus besoin de partir en vacances: elles venaient à nous. Et pourquoi pas un petit plongeon dans une mer chaude telles qu'on en trouve dans les régions équatoriales, si agréables, de la planète Terre ? D'une fréquence vocale, je changeais de latitude, et il se forma devant moi une plage de sable fin où des vaguelettes coiffées d'écume roulaient doucement. Je poussais la puissance, et le soleil se fît plus lumineux et plus chaud. L'eau devînt plus transparente encore. Toutes les sensations associées au décor se reproduisaient avec l'intensité que je désirais. Ce générateur de situations virtuelles était vraiment une belle machine. D'ailleurs, je baissais un peu la brise et j'ajoutais une fragrance épicée mais fraîche, qui parfuma agréablement l'atmosphère. Voilà, l'ambiance de ce paradis artificiel me plaisait bien et je m'allongeais devant la lagune de synthèse. Je fermais les yeux pour me laisser bercer par la musique des vagues mais, entre mes paupières mi closes, j'aperçus quelques oiseaux qui passaient au loin en lançant de petits cris stridents. Je les vis voler dans ma direction, puis ils s'approchèrent. J'en fus très étonné car tous les événements programmés dans ces voyages virtuels suivaient les règles des combinaisons aléatoires, et il y avait vraiment très peu de chances pour que ces cinq oiseaux au plumage vert et blanc se posent prés de moi comme ils s'apprêtaient à le faire. Je me redressais sur mes coudes: ils étaient tout proches. Ils me regardaient et semblaient vouloir s'installer pour de bon à mes cotés. Je ne pus m'empêcher de m'interroger sur cette coincidence qui réveilla en moi un sentiment proche de la peur.

Voyons, me dis-je, je suis actuellement dans une alvéole de l'Arche cosmique, et j'ai commandé un décor de synthèse dont je peux débrancher la source à tout instant. Ce que je vois n ' a aucune signification réelle, ces oiseaux ne sont que des images qui se sont posées là par le plus pur hasard mathématique qui sous-tend ce programme."

Je me trouvais dans un monde virtuel tellement sophistiqué que, si un de ces oiseaux venait me toucher, je sentirais sur ma peau le soyeux de ses plumes et, s'il décidait de me piquer de son bec, j'aurais l'illusion de la douleur sans qu'il puisse me blesser. Le sentiment de malaise continua à prendre corps en moi. Je n'étais vraiment pas venu ici pour ressentir cela, et je décidais d'interrompre ce voyage. Soudain, les oiseaux semblèrent comprendre mes intentions, et ils se mirent a pousser des piaillements de douleur comme s'ils allaient bientôt mourir.

-" Mais voyons, tout cela n'a aucun sens !" m'écriais-je fortement comme pour me rassurer.

D'un geste, j'interrompis ce programme tropical, et je revis les parois métalliques de l'alvéole.

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9.5 Visions.

Je me retrouvais assis sur un fauteuil de la cabine, encore secoué par ce qui venait de se produire. Même si je m'accrochais à cette éventualité comme à une bouée de sauvetage, l'hypothèse du hasard mathématique me semblait de moins en moins probable. Ces oiseaux, qui n'avaient de réalité que celle que nous avions bien voulu leur donner à travers un programme informatique, semblaient pourtant devenir des entités propres douées d'une véritable sensibilité. La frontière entre le réel et l'irréel, la matière et l'idée, semblait, après cette aventure, s'effacer peu à peu. Une confusion extrême envahit alors mes pensées à tel point que je fus pris d'une violente nausée. Celle - ci eut au moins le mérite de me rappeler mon appartenance au monde matériel lorsque je régurgitais le peu d'aliments qui restaient dans mon estomac.

-" Tu es une machine, Kuhing. Me dis-je, et tu as besoin d'une révision."

Après une toilette complète, je sortis de mon alvéole en direction de la plate-forme centrale. Je croisais quelques frères qui confirmèrent que j'avais une très mauvaise mine et chacun s'inquiétait de ce qui m'arrivait. A l'angle d'une allée, je rencontrais Jacqueline qui curieusement ne fit aucun commentaire sur mon état ni sur mon aspect. Je pris l'initiative de l'interroger :

-', T'es-t-il arrivé une chose anormale depuis que nous nous sommes quittés ?"

-" Non, rien de particulier, dit-elle, je me suis promenée dans les allées ; tout est si bien aménag6, on ne se croirait vraiment pas dans un vaisseau spatial."

J'acquiesçais sans enthousiasme à cette banalité. Depuis l'épisode de notre fusion organique, j'avais gardé quelque part le sentiment que cette Terrienne savait tout ce qui m'arrivait, et sa réponse ne me satisfaisait guère. Je n'insistais cependant pas, et je choisis de me rendre dans l'alvéole réservée aux examens physiologiques. Un frère soigneur s'y tenait assis devant une sphère de contr8le, occupé à la résolution de quelque problème théorique. En me voyant, il fut presque content d'accueillir son premier patient, peut-être le seul Dhryz de tout le voyage - Nos médecins, d'une manière générale, n'avaient plus beaucoup de travail. Il m'invita à m'installer à l'intérieur d'un cylindre à la paroi mince et translucide, puis en actionna la commande. La machine, destinée à mesurer les anomalies du rayonnement électromagnétique des organismes vivants, se mit à fonctionner ; et nous pouvions visualiser tous deux le voile vibratoire polychrome qui enveloppait, sur une bonne épaisseur, l'ensemble de mon corps. Le praticien examina en tous points la qualité de cette aura puis vérifia ses observations sur sa sphère de contrôle. Il donna ensuite ses conclusions :

-"Frère Kuhing, ni moi ni cet appareil ne détectons la moindre anomalie dans l'émission électromagnétique de ton corps. Tu es donc théoriquement, donc pratiquement, en parfaite santé mentale et physique."

Surpris de cette normalité, je racontais ce qui venait de m'arriver et qui devait forcément témoigner d'un dysfonctionnement de mes fonctions vitales. Le frère soigneur m'écouta presque sans intérêt. Pour lui, le diagnostic était irréfutable : le détecteur d'aura ne se trompait jamais ; j'avais d~ vivre une illusion onirique aprés m'être endormi. Je sortis de l'alvéole médicale finalement plutôt rassuré. Une idée embarrassante vint tout de même me perturber un instant : le Dieu que j'avais rencontré dans le trou noir était-il intervenu dans cette histoire ? Il ne m'avait pas paru enclin à s'abaisser à ce genre de besogne, mais peut-être, se sachant menacé, voulait-il me rendre fou sans

éveiller de soupçons chez mes frères Drhyz ? Je fis l'effort de repousser cette éventualité, en me persuadant que j'avais seulement été victime d'une hallucination passagère due au surmenage ou, comme le pensait le frère soigneur, que j ' avais simplement rêve. Oui, ces deux dernières hypothèses me convenaient bien pour le moment et je décidais de boire une bonne rasade de jus de coléoptile histoire de fêter ça. Je marchais vers la plate-forme centrale avec pour objectif le bar à liqueurs. En chemin, je croisais des frères pilotes qui me saluaient maintenant sans faire d'autres remarques sur ma mauvaise mine ou mon teint. Tout paraissait être rentré dans l'ordre quand des bruissements lointains attirèrent mon attention. Ils semblaient provenir de l'extrémité du dôme de l'Arche cosmique et je me retournais pour en discerner l'origine. Une sueur glacée perla sur mon front lorsque que je reconnus les cinq oiseaux du décor de synthèse qui m'avaient causé tant d'émotions, J'interpellais deux frères qui flânaient non loin et, pointant mon doigt vers les oiseaux, je demandais :

-" Que voyez-vous là-haut ?"

Les deux Drhyz surpris par ma question regardèrent dans la direction que j'indiquais et l'un me dit enfin

-" Mais Kuhing, ce sont des oiseaux."

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9.6 Apparition

D'après mes compagnons de voyage, ces volatiles faisaient partie de l'aménagement écologique de l'Arche cosmique: s'ils venaient à mourir, ils étaient les premiers à indiquer une défaillance du système de recyclage du gaz carbonique du vaisseau. En tout cas, leur présence réveilla les doutes qui venaient à peine de s'estomper en moi. Je suivais des yeux leur vol groupé et, quand ils me passèrent au-dessus de la tête, j'eus confirmation qu'il s'agissait bien de ceux du voyage virtuel. Je restais quelques instants songeur et les deux frères continuèrent leur chemin étonnés par mon attitude.

-" Suis-je en train de perdre l'esprit ?" me demandais-je. Cette question pouvait paraître exagérée après les événements extraordinaires que j'avais vécu nais, curieusement, l'apparition de ces oiseaux avait réussi à déstabiliser ma raison. Je me sentais glisser vers un chemin dangereux et je compris qu'il fallait vite se ressaisir.

-"J'ai l'habitude de jongler avec les abstractions et jusqu'à présent je m'en suis plut8t bien sorti. Me dis-je . Cette histoire a forcément une explication que je vais découvrir."

Je retournais dans mon alvéole pour programmer à nouveau un voyage virtuel; la solution s'y trouvait sûrement . J'opacifiais les cloisons et je m'installais sur un fauteuil . Je pris le soin, cette fois, de brancher des enregistrements vidéographiques de l'ensemble de la pièce. Une première caméra filmait la situation telle que j'allais la vivre tandis qu'une deuxième, spécifiquement filtrante, n'imprimait que la réalité . j'effleurais la commande du synthétiseur d'images virtuelles et après quelques ajustements, la même lagune au sable blanc s'étendait devant moi Je laissais maintenant le programme se dérouler de lui-même en attendant que ces drôles d'oiseaux réapparaissent. Je fixais l'horizon de ce ciel azur qui , hormis quelques nuages, restait vide. Pour patienter, je pris une poignée de sable dans ma main. L'illusion était parfaite; je sentais sa chaleur s'échapper peu à peu à mesure qu'il coulait entre mes doigts. Mais soudain, un crissement de pas attira mon attention. Je tournais la tête et, stupéfait, je vis, debout derrière moi , le Grand Magellan qui me souriait. J'eus d'abord un petit mouvement de recul puis je rompis le silence:

-" Grand Magellan, est-ce bien toi? Fais-tu partie de ce monde virtuel ou n'es-tu qu'une de mes hallucinations ?"

Le visage du représentant de la civilisation Drhyz, celui que j'avais découvert affreusement mutilé, rayonnait maintenant d'une sérénité parfaite . Il me regarda encore sans toutefois me répondre puis il se dirigea vers les vagues. il avança jusqu'à l'eau, se mit à marcher sur sa surface, et s'évanouit bientôt à l'horizon. J'en avais assez vu pour cette fois, et je débranchais le synthétiseur d'images virtuelles. Le décor de l'alvéole retrouvée me parut plutôt réconfortant. Je me levais de mon fauteuil et je me plantais sans attendre devant un écran de contrôle pour visionner les enregistrements. Le premier film me fît apparaître dans le décor virtuel. Je me voyais scrutant le ciel puis jouant avec le sable entre mes doigts mais, au moment de l'arrivée supposée du Grand Magellan, je constatais que son image ne s'était pas imprimée. Son apparition, tout comme celle des oiseaux, était donc indépendante du programme informatique; elle se situait sur une autre fréquence. Je mis en route la deuxième prise de situation réelle et je fus d'abord amusé par mes positions et mimiques qui, en dehors du contexte, perdaient tout leur sens. Une deuxième surprise m'attendait cependant quand , sur l'écran, l'image du Grand Magellan se forma derrière mon fauteuil. Toute la scène que j'avais vécu avec lui se répéta nais dans le réel enregistré. Le Magellan ne marcha pas sur l'eau comme je l'avais vu mais traversa seulement la pièce puis passa à travers sa cloison. Cette découverte ne simplifiait pas les choses. Je repassais un bon nombre de fois les vidéogrammes en tentant de comprendre la clef du mystère. Des entités vivantes ou ayant vécu reprenaient corps dans ma réalité en utilisant le support informatique des images de synthèse. En outre, elles pouvaient, comme l'avaient fait les oiseaux, passer dans notre dimension matérielle sans respecter la flèche du temps.

Ceci était la constatation brute des faits, et déjà une première étape dans la résolution d'un problème, qui me semblait encore bien lointaine.

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7. Détente.

Je décidais de mettre cette énigme en sourdine dans un coin de ma tête. L'expérience m'avait appris que les idées suivaient leur cours et aboutissaient plus vite de cette façon. Je quittais mon alvéole pour enfin déguster ce jus de coléoptile dont je ressentais maintenant vivement le besoin. Dans le bar à liqueurs, une atmosphère conviviale et feutrée témoignait du bon déroulement de l'expédition. Des frères Drhyz bavardaient dans cet environnement étudié pour la détente ; d'autres jouaient au bag-moon. L'air fortement ionisé embaumait d'une senteur fraîche, et la diffusion de fréquences d'ondes oméga finissait d'offrir un confort raffiné. Je m'installais seul sur un jet de gaz stabilisé, et je remplis à une fontaine un verre de cette liqueur que nous autres Drhyz aimions tant. La première gorgée fut un moment d'extase, et je la savourais pleinement. Lorsque je rouvrais les yeux, Jacqueline, en face de moi, m'observait avec un sourire en coin.

-" Dis donc, fit-elle, tu me rappelles le séjour à Amsterdam que j'ai fait l'année de mes dix-neuf ans. Nous avions passé la soirée au "Melkveg" et l'ambiance ressemblait à ton visage en ce moment."

Je ne connaissais pas assez en détail les us et coutumes régionales de la planète Terre, et d'une mimique, je fis part à Jacqueline de mon incompréhension. Le sourire de la jeune femme se fit plus appuyé encore et elle ajouta :

-" Ne t'en fais pas, le jus de coléoptile est bien meilleur pour ta santé que les volutes du Melkveg."

Cela ne m'éclairait pas davantage mais j'avais assez de devinettes à résoudre pour l'instant. Jacqueline semblait apprécier la croisière et affichait une mine resplendissante. Elle avait pris le poids inhérent à son état gravidique et arborait fièrement des seins qui avaient doublé de volume. Elle me dit qu'elle atteignait la moitié du terme de sa grossesse, et je remarquais que le temps avait passé plus vite qu'il m'avait paru. A ce moment, l'ordinateur du bord annonça d'ailleurs que l'Arche se situait à 30 U. du tunnel de basculement. Progressivement et sans brusquerie, les frères pilotes se levèrent pour rejoindre-leur postes. Je devais également prendre le mien, et je décidais d'abord d'aller voir Ryu, l'ingénieur chargé du stockeur d'ondes cérébrales. Jacqueline me suivit. Je l'informais au passage de mes dernières aventures et visiblement elle ne savait rien. A son avis, il n'y avait aucune intervention divine dans cette affaire et son intuition coïncidait maintenant avec la mienne. Nous entrâmes dans l'alvéole-laboratoire où Ryu et ses cinq collaborateurs se tenaient autour d'un plan de travail de verre organique. Quatre petites pyramides de métal enveloppées sous une coque cristalline opalescente, captaient toute leur attention et j'en conclus qu'ils regardaient le résultat de leur recherche. Dés qu'il nous vit, Ryu vint à nos cotes pour faire un compte-rendu de l'étude de son équipe :

-" Nous avons réalisé ces stockeurs d'ondes cérébrales qui fonctionnent selon le principe de la résonance nucléaire homothétique, dit-il. Chaque atome du métal de synthèse de ces pyramides se réglera en phase avec la vibration d'une pensée et deviendra la mémoire de chaque intelligence. Les entités spirituelles seront ainsi placées en sursis. Nous avons fabriqué une pyramide pour chacune des missions."

Jacqueline écoutait les explications de Ryu avec des yeux ébahis ; notre technologie parvenait tout de même encore à l'épater. Elle ne put réfréner une question :

-" Comment ce phénomène se déclenche-t-il ?"

-" Simplement par proximité, précisa Ryu, le métal que nous avons conçu fonctionne comme un puissant aimant mental. Placé dans l'atmosphère d'une planète habitée, et débarrassé de sa coque de cristal, il capte les esprits et laisse les organismes seulement pourvus de leur système végétatif, pareils à des automates. Il suffira ultérieurement de déclencher un processus inverse, le moment voulu, sur des clones de synthèse."

Puis, montrant une petite capsule de ce cristal qui enveloppait les pyramides, il ajouta :

-" Bien sûr, nous serons dotés d'un système de protection."

-" Pensez à m'en garder un." Lança Jacqueline avec un sourire plutôt forcé.

Je félicitais l'équipe de Ryu pour la qualité de son travail, et je sortis satisfait du laboratoire. Les allées de l'Arche étaient vides, parce que chaque pilote se préparait, dans son aérodyne, au basculement à venir. Je restais quelques temps silencieux au milieu de cette structure déserte, et Jacqueline s'assit à même le sol sans mot dire. La voix de l'ordinateur du bord résonna alors sous le dôme de l'arche :

"Arrivée au tunnel de basculement dans 10 U."

Je sortis de ma léthargie, et j'appelais les trois responsables de mission pour un dernier briefing. Les frères Graw, Sfu, et Tuv arrivèrent sur la plate-forme centrale de l'Arche tandis que Ryu apportait les pyramides de stockage de pensées. Nous allions bientôt concentrer entre nos mains tout ce que le pluri-cosmos avait produit de plus avancé. Nous nous installâmes, Jacqueline et moi, dans un des aérodynes fixés sur la paroi de l'Arche. Nous nous trouvions maintenant en géostationnaire à proximité du tunnel de basculement et nous observions sur l'écran de contrôle cet étrange orifice aspirant, au milieu du scintillement brillant des milliards d'étoiles de notre dimension 24. Je lançais un appel vers Graw et son équipe. Une flottille d'une centaine de soucoupes se détacha alors du flanc de l'Arche pour s'aligner en direction du trou noir. Graw nous renvoya un salut amical puis les aérodynes furent engloutis les uns après les autres dans le tourbillon singulier. Ce fut ensuite le tour de Sfu, puis de Tuv et de leurs compagnons. La Terrienne et moi étions maintenant prêts et, avec ceux de notre mission, nous nous décrochâmes.

A l'approche du tunnel, le protocole habituel se mît en route, et nous perdîmes connaissance.

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1. Retour sur Terre.

-" Insertion dans la dimension 57 réalisée."

La voix de synthèse de l'ordinateur de bord annonçait à notre réveil que le basculement s'était bien passé. Nous arrivions dans la dimension des hommes. Le gel des coques de pilotage fut alors aspiré, nous laissant à nouveau libres de nos mouvements. Je voyais dans la sphère de contrôle la centaine de soucoupes valantes qui nous accompagnait, et Je leur lançais un appel de reconnaissance. Elles se signalèrent sans exception par un clignotement caractéristique - tout allait bien. L'ordinateur précisa notre position. Nous nous trouvions au bord de la galaxie du Sombréro M.104, et il restait un bon chemin à faire Jusqu'au système solaire. Le trajet fut immédiatement calculé et nous atteindrions la planète Terre après deux basculements et 16 U. L'écran de contrôle nous montrait le paysage particulier de la dimension 57, avec ses galaxies en spirales qui s'enroulaient autour de leur centre compact. Devant ce spectacle, Jacqueline se sentait déjà chez elle et parla, dès qu'elle le put, d'envie de manger une "socca" dans le vieux Nice. Je n'eus pas le temps de demander plus de précisions car nous fûmes à nouveau baignés dans le gel des coques de navigation et les humains maîtrisaient mal la télépathie. Le voyage jusqu'à la " Voie lactée " fut bref. Après 4 U., nous émergeames prés de Sirius, une belle étoile de cette galaxie. Après le basculement suivant, l'astre solaire apparut dans notre sphère de contrôle. Je m'assurais de la présence de tous nos compagnons à proximité, et nous pûmes alors naviguer à vue. Nous croisâmes Neptune sous son atmosphère turbulente et ses anneaux de matière. Puis ce fut la planète Uranus et ses quinze satellites alors que Saturne et Jupiter, massives, approchaient. Passée la rougeoyante Mars la fameuse planète bleue se dessinait maintenant plus précisément sur l'écran frontal. Une U. suffit pour atteindre son petit satellite. Nous décidâmes de faire une halte sur la surface accidentée de la Lune et nous nous posâmes sur sa partie invisible depuis la Terre - La technologie humaine n'était pas bien avancée mais mieux valait-il minimiser les risques de repérage. Jacqueline s'approcha d'un hublot latéral et contempla le sol stérile et gris sur lequel nous nous trouvions. Puis, comme Si elle oubliait les distances extraordinaires qu'elle avait parcourues, elle murmura :

-" Si j'avais su que j'irais un jour sur la Lune."

La proximité de la planète Terre la ramenait sans doute aux dimensions de sa civilisation. La centaine de soucoupes volantes habillait maintenant les flancs de ce large cratère poussiéreux qui n'avait pas vu de touristes depuis bien longtemps. Je regardais aussi par un hublot, satisfait de ne pas habiter dans cette région.

-"Pas trop de bars à liqueurs ouverts par ici." Dis-je à la jeune femme et, à son léger sourire en coin, je sus que je commençais à cerner l'humour des Terriens. Heureusement, la nuit commençait à tomber sur la zone européenne de la planète bleue, ou nous comptions arriver le plus discrètement possible - Nous primes le temps de nous restaurer confortablement avant de décoller en direction de ces régions dites méditerranéennes. Les contours de la péninsule de l'Europe se dessinaient sous le voile des fluctuations météorologiques et nous pénétrâmes en douceur dans l'atmosphère terrestre. Après une U., notre flottille d'aérodynes survolait en silence, dans la pénombre, le relief de la région de Digne, une ville de la France du sud. Des témoins, il y en aurait sans doute mais, grâce à notre brouillage radar, les autorités feraient passer l'événement pour une quelconque manifestation météorologique. Jusqu'à présent elles avaient toujours procédé ainsi par prudence ou par orgueil, nous ne le savions pas trop. Nous nous posâmes sur une large colline non loin d'un village nommé " La Javie ". Le système de miroirs inversement réfléchissants, installé sur les parois de nos aérodynes, fondait parfaitement nos engins dans le décor environnant et, à ce camouflage visuel, s'ajoutait une émission radar ajustée sur celle des éléments du coteau Nous étions ainsi parfaitement invisibles aux sens et a la technologie humaine. Seul un promeneur hasardé aurait pu cogner sa tête contre un bord incohérent de ce paysage rocailleux mais, d'après Jacqueline, il ne passait jamais personne ici. Notre mission était cette fois d'importance, et elle ne permettait pas l'erreur faite lors d'un précédent voyage d'étude dans le petit village de Trans-en-Provence, situé non loin de là. Nous débarquions des soucoupes et, avec la centaine de mes frères Drhyz, nous nous mimes en cercle pour un dernier briefing.

-" Le plus simple est d'éclaircir les points encore sombres. Qui veut d'autres précisions ?" Demandais-je.

Un frère qui venait pour la première fois sur cette planète prit la parole :

-" Quels sont les critères de sélection des couples d'humains à ramener ?

-" Tu vas vite les trouver tout seul." Répondit aussitôt un autre qui connaissait déjà la Terre.

Un silence indiqua que tous étaient désormais au point.

-" Rendez-vous chacun avec deux couples d'humains ici-même dans 200 U." Dis-je,

Et notre groupe se disloqua.

 

10.2 stop

 

-" Tes amis ont apparemment tous parfaitement tout saisi mais, au risque de paraître stupide, peux-tu me préciser comment on va se rendre dans une ville, en restant inaperçus, alors qu'il est environ deux heures du matin ?" Demanda Jacqueline un peu désabusée.

Sans un mot, je sortis de ma poche une protection crânienne typique, confectionnée dans un tissu bleu-nuit, et je l'enfonçais suffisamment pour recouvrir la moitié de mes pavillons auriculaires. Jacqueline me regarda avec des yeux ahuris avant de s'esclaffer.

-" Mais ou as-tu trouvé ce béret basque ?" Réussit-elle enfin à articuler. Sans répondre, et avec le plus grand sérieux, je sortis de mon autre poche une prothèse oculaire, spécifique aux Terriens, faite d'une armature de plastique noir et de deux lentilles de verre épais. Je la plaçais sur mon nez et pour la Jeune femme, ce fut le coup de grâce - Elle faillit étouffer de rire.

-" Enfiles donc comme moi l'anorak qui se trouve dans la poche abdominale de ta combinaison, dis-je. Les autres frères Dhryz sont déjà' partis, nous n'avons pas de temps à perdre."

La jeune femme se ressaisit. Elle comprenait peu à peu en s'habillant.

-" J'espère que toute l'équipe n'a pas choisi le même déguisement." Lança-t-elIe.

-" Nous sommes peut-être de piètres guerriers, mais nous savons faire la différence entre stratégie et tactique." Répondis-je

Cette réponse parut suffire. Je consultais mon positionneur, une route se situait à moins d'une demi-U de marche. De là, La Javie était toute proche mais j'avais le sentiment que nous n'aurions pas besoin de nous y rendre. Noua dévalâmes le flanc de la colline, et l 'éclairage d'un véhicule de transport qui approchait sur ses boudins pneumatiques confirma mon intuition, J'expliquais brièvement la marche à suivre à Jacqueline et lorsque je sortis d'une autre de ses poches une liasse de tickets monétaires en cours dans cette région, son regard s'alluma.

-" Mais tu as au moins cent mille francs entre les mains," fit-elle hilare.

-" J'ai mieux !" Dis-je.

Je lui montrais alors une minuscule imprimante qui servait à synthétiser ces billets et son visage s'emplit d'une expression située à mi- chemin entre la joie et le soulagement.

Nous nous mîmes en travers de la voie et le camion s'arrêta. La transaction fut brève - Pour une trentaine de ces coupons verts que Jacqueline appelait Curie, le routier nous embarqua pour Nice sans hésiter, et insista lui-même pour nous conduire jusque devant l'immeuble de l'avenue Bourriglionne ou habitait précédemment Jacqueline.

L'homme avait exprimé bruyamment sa joie tout au long du trajet, et il noua remercia longtemps à l'arrivée. Comme les premiers de nos explorateurs l'avaient raconté les tickets monétaires avalent une influence quasi magique sur les humains et nos frères avaient eu la bonne idée d'en ramener quelques échantillons, convaincus qu'ils pourraient servir un jour.

Les premières lueurs du jour apparaissaient nous montâmes l'escalier étroit qui menait à l'ancienne chambre de. Jacqueline. Sur la porte ; une pastille de silicone rouge perforée par une petite ficelle attira mon attention. Je pensais à une quelconque symbolique rituelle dont Je savais les hommes friands, mais la Jeune femme précisa, sans paraître étonnée :

-" Ce sont des scellés, la police enquête."

Cela ne nous empêcha pas d'ouvrir ta porte. La pièce semblait telle que nous l'avions laissée. Une seule chose laissait un vide dans son souvenir : le tableau de la Vierge à l'enfant.

-" Cela me parait étrange de me retrouver ici, Je me demande bien ce qui s'est passé depuis mon départ." Dit Jacqueline en regardant le chevalet vide.

La femme tourna un peu dans la pièce fouillant et déplaçant les affaires qui lui étaient familières. Elle caressait les, poil de ses pinceaux comme si elle entretenait un rapport charnel avec eux, puis elle les abandonna pour tourner le potentiomètre d'un petit récepteur d'ondes radios. Un flot continu de vibrations musicales s'en échappa. Elle modifia la fréquence jusqu'à ce qu'une voix annonce :

-" vous écoutez Info-plus, la radio d'informations continues, il est six heures du matin nous sommes le mardi s novembre l99l."

La jeune femme écarquilla les yeux et me regarda d'un air ébahi

-" As-tu entendu ce qu'il vient de dire ?" Demanda-t-elle.

-" Rien ne m'a frappé en particulier" Répondis-je.

-" La date, Kuhing, elle est de six mois antérieure à celle de mon départ de la Terre !"

 

10.3 Gourmette.

Le journaliste radiophonique poursuivit :

-" Nouvelle vague d'ovnis sur la France ; de nombreux témoignages concernant l'entrée dans l'atmosphère de mystérieuses taches lumineuses, dont certaines formaient un triangle très net dans le ciel, ont été rapportés partout en France. Cela se passait hier soir aux alentours de vingt trois heures. Mais que les rêveurs redescendent sur terre, d'ores et déjà, des scientifiques avancent l'hypothèse de la désintégration des restes de I 'étage d'une fusée russe captée par la gravitation terrestre."

Jacqueline me lança un regard complice, et je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire de satisfaction.

-"Nous pourrons opérer plus tranquillement." Dis-je en coupant la radio.

Cette question de date restait cependant une préoccupation. Notre voyage à vitesse pro luminique devait certes réduire l'écoulement du temps, mais an aucun cas en inverser la flèche - il n'était donc pas concevable de revenir sur verre avant même d'en être parti. Les scellés sur la porte participaient également du mystère et témoignaient de l'altération que les événements avaient subie dans leur déroulement. Dieu brouillait-il encore les cartes? Cette enquête policière nous obligeait en tous cas à quitter les lieux rapidement. La jeune mère s'assit en se tenant le ventre Elle exprima son désir de se reposer. Elle dépassait la moitié du temps de sa grossesse et sa demande était bien légitime.

Je proposais de la conduire dans un hôtel et de continuer mon travail seul.

Dehors le jour s'était levé, et la rue retrouvait son animation quotidienne. En taxi, je déposais Jacqueline devant l'hôtel Négresco. Là, il était possible de trouver une chambre litre à n'importe quelle heure.

Je lui donnais une liasse de Curie qui se trouvait dans ma poche, et l'assurais du revenir la chercher une fois ma mission accomplie.

Dénicher cinq couples d'humains possédant une bonne résistance physique et mentale, acceptant de surcroît de m'accompagner de leur plein grès et en toute connaissance de cause ne serait pas une mince affaire Je ne disposais pas d'une éternité pour les convaincre : il me fallait donc intégrer un milieu où se regroupaient des hommes à l'esprit plus ouvert. J'imitais de mon mieux la tessiture de la voix humaine, et je tentais de questionner le chauffeur du taxi avec lequel J'étais resté.

Il ne connaissait pas d'armée de l'unification et, à priori ni le Pape, ni le Dalaï-lama n'étaient venus à Nice à l'occasion d'un quelconque événement religieux. il appuya ses dires par une déclaration qui ne laissait la place a aucun doute :

"Oh pauvre, si le Pape il était venu du Vatican sur la promenade des Anglais, croyez bien que je le saurais. Fan, c'est que ça se déplace pas comme ça ce monde-là. Maintenant, pour Serge Lama, je peux pas trop vous dire. Par contre, Charles Aznavour. Je suis allé le voir à l'Acropolis avec ma femme le mois dernier. Ah ! , il chante bien, on n'a pas regretté nos quatre cents cinquante balles."

J'étais satisfait de constater que les hommes étaient toujours aussi bavards dans cette région. Je persévérais donc dans son interrogatoire, et j'appris vite qu'il existait un endroit, prés d'un village nommé Tourettes-sur-Loup où des fadas se réunissaient pour discuter d'histoires bizarres comme de la médecine avec des herbes, et même des extra-terrestres,

-" C'est sur les hauteurs, dans l'arrière-pays, précisa t il. On l ' appelle "Le domaine de la Gourmette" et croyez-moi que c'est une affaire qui marche ; à croire que les gens aiment jeter leur argent par les fenètres.

Je laissais là ce brave homme sur de son bon sens et, pour ne pas éveiller de soupçons, je pris un autre taxi, direction "le domaine de la Gourmette.

Mon nouveau chauffeur était cette fois beaucoup moins prolixe ; Un importé sans doute.

Il tourna sans un mot la manette de son compteur et monta le son de L'autoradio. Je n'insistais pas et

regardais le paysage qui, au sortir de la ville, gagnait en charme et en beauté.

Une chanson attira mon attention Elle réveilla en moi des impressions étranges qui s'apparentaient à un sentiment de malaise intérieur. Je tâchais d'analyser ce phénomène mais en vain.

La chanson e se termina et l'annonceur dit :

" Les nostalgiques auront apprécié la rediffusion du grand succès d'Alain Barrière " Je ne suis qu'un homme."

-" Ca nous rappelle notre jeunesse." Fit le chauffeur qui avait senti que quelque chose se produisait.

Nous passâmes un petit village nommé "Pont du Loup" et la voiture s'engagea sur une route à pente abrupte que rien n'annonçait.

Le paysage se dégagea peu à peu, et nous dominions maintenant une belle vallée de Provence.

Au bout du chemin, apparut enfin une large bâtisse calme entourée de verdure - " le domaine de la Gourmette".

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10.4 Rebirth.

Je descendis du taxi. Les nombreux véhicules garés témoignaient de la grande activité de ce centre, Une pancarte de bienvenue accueillait agréablement les visiteurs, tandis qu'une autre indiquait un bureau de réception et de renseignements. J'en pris la direction. Je trouvais là un petit homme chauve aux yeux malicieux et au ventre rebondi. Il me salua poliment, se présenta comme étant Maurice Letuve, et demanda ce qu'il pouvait faire pour moi.

-" J'aimerais avoir des renseignements sur les activités du domaine de la Gourmette." Dis-je,

Il me tendis une petite brochure qui se trouvait sur sa table et répondit :

- " Vous trouverez là l'ensemble des stages et conférences prévues pour cette année. Un hébergement en pension complète est possible sur place, et la cuisine est préparée à base de produits issus de l'agriculture biologique."

Je feuilletais le livret, et je déchiffrais des termes comme " Chromo-kinèse"," Phosphénisme ", " Reiki" ou encore "Psycho-cybernétique essénienne".

Je tâchais de me remémorer les éléments rapportés de la culture des hommes mais ces qualificatifs n'évoquaient rien pour moi Le petit homme vint à mon aide.

-" Nous avons un stage de " Rebirth " qui commence en tout début d'après-midi. Le conférencier y associe une technique d'hypnose profonde, J'en ai entendu dire beaucoup de bien. Si vous êtes intéressé, Il reste encore des places disponibles. Et ça ne coûte que 2000 francs " Interjeta-t-il.

L'opportunité ne pouvait pas mieux tomber, même si je ne savais pas de quoi il s'agissait.

-" C'est justement une discipline qui me passionne ; Quelle merveilleuse coïncidence, dis-je, je désire m'y inscrire bien sur."

Je remplis quelques formalités et, déclinant une invitation pour le repas, je fus conduit devant une salle où quelques personnes attendaient déjà. Une jeune femme s'approcha de moi et me tendit la main :

-" Bonjour, je m'appelle Jennifer Mac-Graw Vous attendez le stage de rebirth?" Demanda-t-elle avec un beau sourire. Elle était petite et jolie, et son regard me semblait familier. Sans savoir pourquoi, j 'ôtais mes épaisses lunettes à monture de plastique noir, et elle ne parut pas surprise de découvrir mes yeux pourtant hors de son commun.

Je répondis à son salut on saisissant la main qu'elle me tendait et je lui dis:

-" C'est la première fois que J'assiste à ce genre de séminaire vous aussi ?"

Elle leva les sourcils, et son visage prit une expression particulière qui indiquait que je n'avais pas affaire à une novice en la matière. Elle le précisa fièrement elle-même : elle se passionnait pour cette discipline depuis plusieurs années. Il s'agissait de se remémorer l'instant de sa naissance afin d'en évacuer tous les traumatismes, En ce qui la concernait, cette technique lui permettait d'atteindre des degrés de sérénité de plus on plus élevés. Elle me parla aussi d'autres expériences dans cette médecine holistique qui, selon elle, allait bientôt palier aux désastres de l'allopathie.

-" L'ère du poisson est finie, dit-elle. Les vibrations cosmiques que nous apporte l'ère du Verseau vont ouvrir à nouveau les douze sens que l'homme possède. Nous allons enfin comprendre que le monde matériel que nous croyons percevoir ne constitue qu'une infime parcelle de l'Unité Totale, du grand Tout. Nous saisirons pleinement le message laissé dans les pyramides égyptiennes et les sutras tibétains. Hermès Trimégiste revient fêter sa victoire. Il nous indiquera la vraie valeur du nombre d'or et le sens du grand Projet cosmique

La jeune femme se tut comme 51 tout était dit puis elle s'éloigna de moi. Son discours m'avait surpris parce qu'il s'apparentait de près ou de loin à la raison qui m'amenait ici. A cela, s'ajoutait une impression bizarre de déjà-vu et même de déjà-su. D'autres personnes arrivaient maintenant devant la salle, et celui qui paraissait être un organisateur en ouvrit la porte. Une fois de plus, une surprise m'attendait: sur un des murs. Couvrant toute sa surface, une représentation de ce bleu que je connaissais, donnait à la pièce un reflet mystique. Trois empreintes de corps féminins s'imprimaient en blanc sur ce fond d'I.B.K.; en bas, à droite, la signature du peintre confirmait l'authenticité de l'œuvre : Yves Klein - I958. La même impression de confusion que j 'avais ressentie lors de mon voyage virtuel dans l'Arche remonta en moi. Comme pour la cacher, je remis mes lunettes, et je m'assis en tailleur comme les autres. Nous formions un cercle de nos corps, et j'entendis alors derrière une cette voix que je connaissais.

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10.5 Retour à l'envoyeur 2

Je me sentis tout d'un coup secoué violemment. J'entrouvrais les yeux, et l'ombre de plusieurs silhouettes se découpèrent sur le plafond. Aux bribes de phrases que je saisissais, quelque chose de grave était en train de se passer.

Et puis les visages se firent plus nets jusqu'à ce que je commence à mieux les distinguer. Une voix lança : :

- Il revient à lui."

Maintenant. Je reconnaissais parfaitement l'homme qui m'avait saisi par les aisselles pour m'asseoir contre le mur. Oui il s'agissait bien de Jean-Charles Magellan, le célèbre praticien de rebirth hypnotique avec qui j 'étais venu faire ce stage. Lui qui, au début du séminaire, affichait tant d'assurance, semblait bien décontenancé.

A ses côtés, le visage de Maurice Letuve était blême, et il me regardait avec ses petits yeux ronds inquiets. Je bougeais mes membres engourdis et secouais la tète comme pour remettre mes idées en place.

-" Comment allez-vous, monsieur Hughien-Leroy ? " Demanda le maître de cérémonie.

J'esquissais un acquiescement qui parut rassurer tout le monde. Jennifer Mc Graw, dont la tête apparaissait derrière l'épaule de Letuve me dit dans un soupir de soulagement :

-" Je vous avais prévenu qu'il s'agissait d'une expérience très forte."

-" Certes, certes" Balbutiais-je en me massant le front.

Tous les éléments de ma vie me revinrent alors en tête ainsi que leurs corrélations avec le " rêve dont je sortais : l'histoire de ma mère Jacqueline, artiste - peintre, dont les plus belles toiles ornaient la plupart des suites de l'hôtel Négresco. Mon père, Jean-Pierre, qui avait bien été fonctionnaire mais dans la police. Il avait été abattu à Paris, au cœur du quartier Pigalle, en face du bureau de poste, lors d'une enquête dans une affaire restée célèbre dans les annales judiciaires. Moi-même, Karl Hughien-Leroy, ingénieur en mécanique des fluides, grand amateur de sciences dites parallèles , qui avait atterri là, dans ce stage de thérapie naturelle.

Jean-charles Magellan retrouvait peu à peu sa belle assurance alors que trois stagiaires m'aidaient à me relever.

-" Dites donc, vous avez été particulièrement réceptif à la séance. Certains stagiaires se sont presque inquiétés. Heureusement qu'en ce qui me concerne, j'ai l'habitude de ce genre d'incidents. J'espère que cela aura au moins produit l'effet recherché." Dit-il d'une voix encore incertaine.

-" Le fait est que je me sens plus léger." Répondis-je pour avoir la paix.

Je pris mon béret et mon anorak du portemanteau, et je sortis de la salle sous les regards interloqués des membres du groupe. Dans la cour, le soir commençait à tomber. Je secouais la tète en souriant. Je n'étais donc qu'un homme, " Rien qu'un homme ", comme disait la chanson, et je ne retrouverais pas les commandes de ce bel aérodyne dont j'avais pourtant un souvenir si précis. Les rires des enfants qui couraient dans l'herbe me firent presque oublier ma déception.

Instinctivement, Je levais les yeux vers ces nuages blancs aux formes multiples. Cinq oiseaux au plumage vert et blanc passèrent dans le ciel.

Fin du premier Tome.