4.2 MUTATION

 

 

Depuis deux semaines que Jacqueline avait quitté Paris, Jean-Pierre l'appelait quotidiennement.

Chacun tentait de maîtriser son impatience mais ce soir du 6 juillet, le jeune homme sentit un changement dans le ton ; les propos mêmes de la femme se modifiaient comme si la distance géographique qui les séparait vérifiait maintenant un dicton humain : " Loin des yeux, loin du cœur ".

Le jeune homme inquiet voulut la rejoindre tout de suite mais, essuyant un refus froid et catégorique, il dut se résigner la mort dans l'âme.

Je fus tout aussi surpris par ce comportement soudain que rien ne laissait prévoir.

L'embryon suivait pourtant un développement normal, et le mésoderme s'était bien formé. Je devais analyser de plus près la situation pour comprendre ce qui arrivait. Je passais en revue les différentes constantes biologiques jusqu'à remarquer une sécrétion légèrement insuffisante d'hormones stéroïdes accompagnant la grossesse. Outre ce petit déficit en œstrogènes et progestérone, je percevais moins nettement l'écho vibratoire de l ' âme qui habitait Jacqueline. Je saisis bientôt pleinement le drame qui se produisait quand la jeune femme s installa devant ce tableau commencé dès son retour à Nice.

La nuit était tombée et la pluie diluvienne qui inondait la région depuis quelques jours n'avait de cesse. Jacqueline regardait la toile en se demandant pourquoi cette cassure s'opérait en elle.

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Puis, bloquant sa palette de couleurs avec le pouce, elle y posa précisément quelques touches de pigment. La jeune femme contempla longuement son œuvre presque achevée. Une Vierge à la chevelure d'or portait sans effort, au creux de ses bras repliés, l'enfant Jésus protégé dans un drap de lin écru. La trame de la peinture était d'une finesse telle qu'elle l'aurait crue réalisée par un maître de l'école flamande du XVIIème de ses siècles. A l'arrière plan, un ciel ouaté éclairait une belle vallée paisible. Jacqueline mélangea consciencieusement le bleu de cobalt avec le jaune de cadmium. Elle voyait exactement ce vert dont elle habillerait le paysage encore esquissé puis, parvenant enfin, à force de patience, à la teinte souhaitée, elle rinça son pinceau jusqu'à ce qu'il n'en sorte qu'une eau claire, le plongea dans un bleu outremer et l'approchant de la toile, peignit la vallée bleue monochrome de la planète Drhyz : j'assistais à mon osmose avec cette jeune femme qui puisait déjà dans ma mémoire.

 

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Les mitoses des cellules de l'embryon s'étaient arrêtées. Je compris que cet enfant qu'elle portait en son sein ne grandirait jamais parce que l'entité maternelle ne pouvait tolérer plus longtemps ma présence. La spiritualité de Jacqueline s'éteignait devant moi mais plus encore, le bouton embryonnaire que j ' avais investi servait désormais de facteur mutagène pour son organisme. Dans un sursaut de personnalité propre, Jacqueline se leva jusqu'à son miroir et regarda son corps qui lui échappait déjà. Sur sa tête, ses cheveux blondissaient et dégageaient largement ses tempes, ses sourcils presque disparus, rehaussaient de grands yeux aux iris indigo. Jacqueline voyait, avec la plus grande sérénité, son enveloppe se transformer en un mélange d'humain et de Drhyz. Son intellect gardait pourtant une identité mais son âme se fondait en moi comme un ruisseau se jette dans un océan. La jeune femme ne comprenait pas ce qui lui arrivait, elle savait juste qu'il le fallait. Sa raison décodait ce profond sentiment de certitude que Dieu m'avait transmis.

Je ne savais pas moi-même que cet être humain servirait de support direct à mon incarnation hybride; ce choix fait parmi des millions de terriens m'appartenait - il ?

S'agissait-il d'une erreur ou de la volonté propre du Créateur ? Devais-je, pour accomplir ma mission, suivre un chemin sinueux corne celui que la vie doit prendre à travers la chimie organique ? Ces sacrifices humains étaient-ils programmés ? Ces questions ne trouvaient pas de réponse en moi et moins encore chez la jeune femme que j'accompagnais ; pourtant toutes ces interrogations ne généraient pas le moindre doute en nous, la Certitude était bien plus forte.

 

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